2.2.4 LA SORCIERE AUJOURD'HUI

Morte la sorcière? oui, si l'on se réfère à l'image qu'en avaient donnée les démonologues aux XVI-XVIIè S ; mais certainement pas si l'on désigne par ce thème la magicienne villageoise capable de nuires comme de guérir grâce à des pratiques que les savants et citadins désignent par " superstitions ".La sorcière diabolique avait été construite de toutes pièces par les élites sociales. Ce stéréotype s'effaça à mesure que la figure du diable perdait de sa densité. Dès le XVIIè S, les magistrats du Parlement de Paris, devenus plus rationnalistes, freinèrent la chasse aux sorcières ; pour eux, "Dieu et Satan cessent d'intervenir quotidiennement dans le cours naturel des choses et dans la vie ordinaire des hommes".

De nos jours, l'existence du démon est souvent mise en doute par des chrétiens et même par des théologiens de renommée internationnale à tel point que le Pape Paul VI, en 1972, affirma l'existence de Satan car l'absence du diable pourrait annoncer celle de Dieu... Notamment dans la civilisation française de la fin du XXè S, qui connaît un grand mouvement de déchristianisation. La sorcière diabolique n'a donc pas sa place dans notre société, l'attrait du surnaturel prend pour les citadins une toute autre forme : Tireuses de Cartes, Spiritisme et Parapsychologie... Cependant, dans les villages, il en est tout autrement ; en effet la sorcière villageoise persiste, les villageois ont conscience d'un net clivage culturel qui les sépare des citadins qui ont une vision du monde différente. Ils n'ont pas des racines campagnardes et ne peuvent donc pas comprendre de l'intérieur ce qu'ils nomment avec mépris ou amusement des superstitions. D'où la difficulté de toute enquête sur le terrain, les paysans étant assez agressifs avec les journalistes et les ethnologues. Ils ne parlent d'ailleurs de ces choses qu'en secret ou à mots couverts. Ils évitent de pratiquer ouvertement d'anciens rites magiques bien que ceux-ci existent toujours, souvent camouflés. De nombreux comportements montrent ce genre de croyances, par exemple, des villageois des environs d'Hazebrouck disent-ils bonjour les premiers afin d'éviter d'être ensorcelés par celui qu'il rencontre ; et pour la même raison, ils mettent le pouce dans la main quand ils parlent à un inconnu.

Ainsi dans les campagnes, ils existent beaucoup de comportements de ce genre qui restent incompréhensibles pour ceux qui sont étrangers à la localité. De plus, les campagnards savent que le seul moyen de sauvegarder leurs croyances et l'originalité de leur culture, est d'en cacher l'existence à ceux qui n'y participent pas ; c'est pourquoi, le plus souvent, ils nient les "superstitions" ou ils les admettent mais en affirmant que seuls les attardés y croient toujours et notamment dans un autre village, dans un ailleurs qui éloignera d'eux la curiosité de ceux qui les questionnent. Parfois, ils "acceptent" de raconter des histoires extraordinaires profitant de la crédulité et de l'ignorance des citadins naïfs, gobeurs d'invraissemblances notamment lorsqu'il s'agit de journalistes ou d'éthnologues avertis...

Ainsi, la sorcellerie est toujours une dimension importante de la vie rurale d'aujourd'hui. L'auteur montre l'exemple d'un village de l'Orne : Hesloup où un homme,J.C, âgé de 49 ans a été tué le 29 février 1976 par 2 frères. J.C. vivait dans une bicoque, où les gendarmes trouvèrent des cadavres d'oiseaux décapités, la dépouille d'un chien pendu et désséché, un hérisson mort, des bouteilles vides suspendues au plafond... Il lançait du sel sur ceux qui lui déplaisaient lorsqu'il les croisait dans la rue ; il disait à ses voisins qu'il jetait des sorts et qu'il pouvait tuer n'importe qui grâce à sa magie.

Evidemment, J.C, selon toute vraisemblance, était un vantard, l'idiot du village promu sorcier de pacotille car un vrai sorcier ne l'avoue jamais (sauf sous la torture)... Cependant, les villageois étaient persuadés qu'il était responsable de tous leurs malheurs, c'est pourquoi les deux frères, qui voyaient le malheur s'accabler sur eux : maladie, mauvaise récolte, mort de leur père, etc, ont tué JC d'une décharge de chevrotines tirée à bout portant... Ils ont été condamnés, en mai 1977, à 8 ans de réclusion criminelle et à 5 ans d'emprisonnement. La sorcellerie rurale existe donc toujours mais des cas comme l'exemple précédent sont exceptionnels, la sorcellerie telle qu'elle survit dans nos provinces est différente de la sorcellerie diabolique décrite aux XVI-XVIIè S : la sorcière rurale n'était et n'est ni une révoltée ni une exclue ni une déviante ; elle conserve une place normale au coeur de la civilisation paysanne.

Les citadins curieux et intellectuels attirés par le surnaturel s'y intéressent mais ils la déforment. Certains ont tendance à remplacer Dieu par des phénomènes de sectes, par la drogue, le spiritisme ou même des horoscopes quotidiens proposés par les mass média.

Ainsi, pourquoi la sorcellerie ne tenterait-elle pas des gens qui cherchent un espoir, une sécurité, un sens à leur vie ?

Ceux qui sont donc actuellement intéressés par la sorcellerie n'ont pas la même vision que les paysans en avaient : la sorcellerie populaire consistait en des recettes magiques pour la survie quotidienne... mais la société paysanne meurt aujourd'hui à cause des progrès économiques et les paysans voient leurs anciennes croyances s'éteindre peu à peu certes, mais pas totalement car tant qu'il y aura des paysans, il restera une sorcellerie rurale, et jusqu'à maintenant aucun système politique n'a encore pu se passer des ruraux ; de même, la présence, les paroles et les actes de la sorcière d'aujourd'hui posent l'éternelle interrogation des hommes sur leurs origines, sur le sens et sur les fins de leur existence c'est pourquoi on peut dire que la sorcellerie existe toujours de nos jours sous diverses formes.


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