Elle a débuté au XVIè siècle et a atteint son paroxysme en France comme dans les Pays-Bas espagnols entre 1560 et 1630, et elle ne s'est éteinte que lentement dans certaines provinces. L'impulsion qui la déclencha vint du haut : les élites culturelles et sociales définirent la sorcellerie comme étant le pire péché que l'on puisse commettre et ils instaurèrent une procédure visant à éliminer les sorciers, et plus précisément, les sorcières puisqu'on brûlait 3 ou 4 femmes pour 1 homme. Ces persécutions durèrent des décennies et furent responsables de centaines de morts.
Jusqu'au XVè siècle, il n'existait que peu de cas de poursuites contre les sorciers, de plus, les accusations ne portaient pas sur le diabolisme mais sur la pratique de sortilèges contre les personnes, les animaux, les biens, etc. A partir du XVè siècle, il y eut une brutale augmentation des poursuites pour sorcellerie et le développement d'une nouvelle théorie inquisitoriale : désormais, les accusés n'étaient plus des sorciers pratiquant des sortilèges mais des sorciers appartenant à une secte diabolique qu'il faut absolument exterminer.De plus, le crime de sorcellerie relevait, aux XVI-XVIIè S, exclusivement de la compétence séculière, l'Eglise s'est manifestée à son tour développant la doctrine de la démonologie, c'est à dire l'existence d'une secte satanique organisée ; en conséquence, la sorcellerie n'était plus un délit ordinaire mais un crime religieux des plus graves et même le plus abominable des pêchés. De nombreux ouvrages définissant le crime de sorcellerie se sont développés, parmi eux, " LE MARTEAU DES SORCIERES " publié en 1486-1487 par deux dominicains allemands : Institoris et Sprenger. Ce manuel de la persécution des sorciers devint un succès de librairie, réédité dans toute l'Europe : de sa 1ère publication à 1669, trente mille exemplaires auraient été mis en circulation, surtout en petit format afin que les juges puissent le consulter aisément lors d'un procès. Cet ouvrage comportait la définition détaillée du crime de lèse-majesté divine : "... Les sorcières ne sont pas de simples hérétiques mais des apostats et même davantage... mais outre le reniement, c'est aux démons eux-mêmes qu'elles se livrent, offrant l'hommage de leurs corps et de leurs âmes... Et s'il en est ainsi au niveau de la faute, pourquoi n'en serait-il pas ainsi au niveau du châtiment infernal ? ".
De nombreuses autres oeuvres prolongèrent l'impact du Marteau des sorcières ; les juges recherchaient les adeptes de la secte satanique afin de les exterminer, la condamnation de toutes superstitions diaboliques était sans appel car il s'agissait d'une lutte contre le Mal et contre toutes les hérésies.
La procédure médiévale habituelle excluait l'emploi de la torture et permettait la libre défense de l'accusé ; or avec le développement de la monarchie absolue et les progrès de la justice royale, un nouveau système pénal vit le jour : une procédure dite extraordinaire qui se caractérisait par le secret, l'écrit, l'utilisation fréquente de la torture et par les entraves apportées à la défense des suspects. La sorcellerie était jugée selon cette procédure et les magistrats, pour prouver la culpabilité des accusés, se référaient aux ouvrages de démonologie. Les preuves matérielles manquaient en ce domaine et les témoignages reposaient sur la réputation des accusés ; de leur côté, les juges croyaient fermement que l'accusé appartenait à la secte satanique, et pensaient que le diable " soutenait " l'inculpé afin de tromper les juges, de ce fait, le comparant était considéré comme coupable contre qui il fallait lutter pour prouver l'appartenance à cette secte, le faire dénoncer ses complices et purger définitivement de sa présence le monde chrétien.
En général, l'ouverture d'un procès était dûe à une rumeur concernant une vieille paysanne ; une information voyait défiler des témoins qui précisaient les accusations puis, s'ouvrait le procès proprement dit : interrogatoire du suspect, confrontation des témoins, torture et aveux, sentence et exécution publique. De plus, sur la base des déclarations, on trouvait d'autres suspects et les bûchers s'allumaient à nouveau. Les témoins étaient payés pour la perte de leur journée de travail . La découverte du sorcier se faisait grâce à l'action spontannée de la justice après la découverte du crime, grâce aux accusations lancées par une personne ayant été victime de sortilèges ou non, grâce à la dénonciation par un sorcier torturé, par un complice ou par un tiers. Souvent, les dénonciations étaient incitées par le haut de la société, les autorités civiles et les prêtres condamnaient vigoureusement les superstitions diaboliques des ruraux qui, alors, se mettaient à dénoncer, de façon anonyme, des voisins, amis,... qui avaient recours à des recettes magiques ; tous s'épiaient car tous les ruraux de l'époque pratiquaient ce genre de recettes, aussi si on n'était pas dénonciateur en premier, on risquait d'être dénoncé, tout le village vivait donc dans cette ambiance de dénonciation et de peur. Une fois dénoncés,il fallait trouver sur les accusés la marque du diable, cela était fait par le " Piqueur " La sorcière avait soit-disant pactisé avec le diable et la signature de ce pacte n'était rien d'autre qu'une marque particulière sur la peau de la sorcière ; cette marque devait être insensible à la douleur, ainsi, le piqueur bandait les yeux de la sorcière puis il la piquait avec des aiguilles sur tout le corps," même dans la bouche et aux parties honteuses ", dès lors que le piqueur avait trouvé un endroit insensible à la douleur, la sorcière pouvait être jugée ; il existait d'autres épreuves pour prouver que l'on avait à faire à une sorcière : l'épreuve de l'eau, par exemple, consistait à mettre la sorcière, pieds et mains liés, dans une grande quantité d'eau, si elle coulait, elle n'était pas une sorcière mais si son corps flottait, elle en était une. Ainsi, ceux qui portaient une marque particulière sur la peau risquaient d'être dénoncés un jour ou l'autre, c'est pourquoi, ils n'attendaient pas d'être dénoncés et accusés de sorcellerie mais, ils se constituaient prisonniers afin d'obliger leurs pires ennemis à en faire autant ; car dans la pratique criminelle, le dénonciateur devait prouver ce qu'il avançait et il était emprisonné car il encourait une peine équivalente à celle qu'aurait subi le criminel si la cour considérait qu'il avait faussement calomnié celui-ci. Cependant, la culpabilité de ceux qu'on leur amenait ne faisait aucun doute pour les juges convaincus de l'existence du crime de sorcellerie, ainsi les accusateurs étaient rarement mis en cause. La marque du diable, une fois trouvée, était un indice sérieux mais insuffisant, elle ne constituait qu'une demi-preuve et ne suffisait pas à condamner à mort le sorcier ; les magistrats devaient fournir la preuve de la participation au sabbat, de la copulation satanique, des relations du sorcier avec son diable familier dans la vie quotidienne, des sortilèges et des maléfices... en fait, les magistrats se référaient à la théorie démonologique alors que les témoins décrivaient les effets des maléfices sur les êtres vivants et les choses, ils décrivaient ainsi une sorcellerie populaire totalement différente de celle des démonologues. Bien que cette demi-preuve ne prouvait pas la culpabilité formelle du comparant, les juges étaient persuadés de sa culpabilité, il fallait donc le faire avouer : l'aveu était obtenu par la torture, notamment grâce à la question ordinaire ou à la question extraordinaire, et si l'accusé avait su résister et n'avait pas avoué, alors il ne pouvait pas être éxécuté, il était aussitôt libéré mais les juges n'étaient jamais convaincus de sa totale innocence, en général, il était banni, ce qui équivaut à une véritable mort sociale, ou alors, il risquait d'être brûlait ailleurs. De plus, pour que les aveux soient valables, l'accusé devait les répéter le lendemain hors de la salle du supplice ; en cas de refus, le patient subissait une seconde fois la question et éventuellement une troisième, mais il était interdit d'avoir recours à la torture plus de trois fois, cependant les abbus n'étaient pas rares et beaucoup sont morts sous la torture.
Le fait d'être superstitieux ou de porter une marque particulière n'étaient pas les seules choses permettant d'être accusé de sorcellerie, la notion d'hérédité était très importante : si on avait eu dans sa famille, même éloignée, une personne accusée de sorcellerie, même des années auparavant, on avait toutes les chances d'être, à son tour, accusé de ce crime, la justice procédait alors à une perquisition, espérant trouver quelques preuves puis, elle procédait à un interrogatoire le plus rapidement possible profitant du trouble et de l'inquiétude du suspect qui ignorait pourquoi on l'arrêtait ; les juges cherchaient alors à gagner la confiance de l'accusé ou, au contraire, à l'effrayer afin d'établir l'identité du comparant car la sorcellerie était, non seulement, considérée comme héréditaire, mais aussi, comme transmissible par parenté spirituelle ou par initiation.
Dès lors que l'on était arrêté et jugé, les chasseurs de sorcières ne lachaient pas leurs proies ; en général, les hommes de loi maniaient la culture écrite alors que les suspects étaient analphabêtes et parlaient un patois, le comparant était incapable de se défendre, tout le procès était un dialogue de sourds avec les risques que cela comportait pour le " rustre " interrogé. Les procès étaient des machines à produire des coupables en broyant des innocents. L'auteur prend l'exemple de Madeleine Desnas, sorcière de Rieux en Cambrésis qui affirme être innocente mais qui sait que l'on veut faire d'elle une coupable et qu'elle ne peut lutter contre ceux qui savent écrire : " Le papier est douce et on y met ce qu'on veult. ". Elle fut éxécutée le 26 aout 1650. Les comparants n'avaient pas d'avocats de la défense, ceux-ci n'existaient qu'en milieu urbain mais pas pour les affaires de sorcellerie sinon ils étaient accusés, à leur tour, de complicité satanique, ainsi quand l'accusé avait su résister à la torture, on abandonnait momentanément les poursuites jusqu'à la découverte de nouvelles preuves, ou alors le sorcier était banni ; quant à celui qui avouait de son plein grè ou sous la torture, il devait être brûlé vif mais, souvent il était étranglé avant d'être livré aux flammes. Le jugement était très vite éxécuté, le texte détaillé de la sentence était lu en place publique et le sorcier subissait, si nécéssaire, la question préalable : une séance de torture afin qu'il dénonce ses complices lorsqu'il avait refusé de le faire auparavant. Le supplice public avait pour but d'être exemplaire et de terrifier ceux qui auraient été tentés de s'écarter de l'orthodoxie religieuse. La communauté toute entière était ainsi purifiée des abominables pêchés de la sorcière ; parfois en plus de brûler son corps, on brûlait avec elle le procès afin de ne laisser aucune trace de ce suppôt de satan. Après avoir éxécuté une sorcière, les magistrats avaient le droit de faire un festin aux frais de la justice qui autorisait énormément de dépenses pour les procès des sorcières, l'extermination de la secte satanique coutait très cher : le prix, en général, de plusieurs chevaux, voire d'un petit troupeau de bovins ou encore d'une modeste maison paysanne, par procès, soit plus de 200 florins par sorcière en 1664-1665 à Quiévy en Cambrésis. Comme les biens des sorcières ne suffisaient pas à couvrir les dépenses, les habitants de la communauté d'origine des accusés participaient aux frais car ils étaient débarrassés de leurs jeteurs de sorts.
Selon l'auteur, il n'est pas possible d'estimer exactement le nombre des persécutions pour le territoire français étant donné que certains procès ont été parfois brûlés avec les sorcières. Les bûchers ont été moins nombreux qu'on ne l'a cru ; moins de 150 pour le Nord, région très peuplée entre la fin du Moyen-Age et le XVIIIè S, moins d'un millier pour l'ensemble du Jura suisse et français entre 1537 et 1683. Tous les accusés n'étaient pas éxécutés malgrès les dires des historiens, il était même rare que le poucentage de mises à mort soit supérieur à 50% du total. La persécution visait surtout les femmes : 7 à 9 sur 10 accusés. De même, la géographie de la sorcellerie était particulière dans le royaume de France : les zones les plus touchées étaient le Nord, La Lorraine, l'Est, le Languedoc et le Sud-Ouest ; c'est à dire la périphérie du royaume. Selon R. Muchembled, ceci était dû au fait que le centre de la France était bien tenu en main par la Royauté, ainsi, les administrateurs nommés par le roi devaient étendre le pouvoir du Roi là où il n'était pas encore, c'est pourquoi, les persécutions avaient lieu à la périphérie du Royaume où il fallait absolument faire comprendre aux populations qui dirigeait le pays. Devant les résistances rencontrées, les administrateurs voyaient en la sorcière un prototype mythique du rebelle absolu ; la procédure démonologique les a ainsi aidé à fabriquer des coupables sur lesquels ils reportaient les crimes des populations indisciplinées ; en ce sens, la sorcière était devenue un bouc émissaire dont le supplice devait empêcher les adversaires du pouvoir central à persévérer puisque la chasse aux sorcières a permi de cristalliser sur les sectateurs du démon la notion de déviance par rapport aux normes sociales nouvelles que l'on voulait instaurer. Ainsi, les élites culturelles imposaient, par le biais des bûchers, le respect de ces normes ou du moins, la peur de les transgresser et la crainte d'être appelé sorcier si l'on s'écartait du chemin de l'orthodoxie religieuse. Ces élites avaient don développé chez les ruraux une phobie de la sorcellerie. Les paysans se savaient coupables de croire à des superstitions interdites par l'Eglise et de pratiquer parfois des rites de guérison et de protection défendus, ainsi, pour ne pas être accusés de sorcellerie, ils se différenciaient des sorciers et une atmosphère d'inquiétude permanente pesait sur le village.
L'auteur s'intéresse ensuite au fait que les persécutions concernaient surtout les femmes : 82% des accusés dans le Nord étaient des femmes. Les explications que donnent l'auteur semblent évidentes : les femmes représentaient, pour les gens d'Eglise, les filles d'Eve, certains ont d'ailleurs développé des thèmes concernant l'infériorité naturelle des femmes considérées comme des bêtes sans âme, d'autres ont insisté sur le pêché originel causé par la première femme à cause de qui la mort était entrée au monde. Les élites laïques de l'époque se méfiaient donc des femmes et notamment de leur activité sexuelle ; un mouvement de répréssion sexuelle se développa en même temps que la chasse aux sorcières, de ce fait les procès de sorcellerie avaient une dimension sexuelle très importante, les juges tentaient toujours de faire avouer aux suspects la copulation satanique dans ses moindres détails : le " sexe du démon était froid et faisait froid à l'intérieur. ". De plus, l'aspect sexuel des procès était lié à la décrépitude d'un corps de vieille femme plus qu'aux débordements amoureux d'une jeune sorcière. Le plus souvent, les adeptes du démon étaient des vieilles femmes décrépites : sur 155 cas étudiés, 105 sont des femmes dont 32 ont plus de 50 ans alors que 7 suspectes seulement ont moins de 20 ans, une enfant de 8 ans et 2 adolescentes de 13 ou 14 ans. En général, les sorcières étaient des femmes âgées, veuves c'est à dire sans contrôle patriarcal. Elles étaient également socialement isolées car n'avaient plus d'enfants, elles étaient craintes par les autres villageois ; elles n'étaient pas errantes car elles habitaient dans le village ou à ses limites. Elles étaient bien connues de ceux qui les accusaient devant les juges car vivant médiocrement, elles demandaient de menus services aux voisins qui n'osaient pas les lui refuser étant donné qu'ils les craignaient. Souvent,leur niveau de vie était inférieur à celui des témoins qui les accusaient. Les magistrats étaient hantés par l'idée de la répréssion sexuelle, de la mort et de la décrépitude, c'est pourquoi, la sorcellerie liait, ici, le thème du diable, de la vieille femme et de la sexualité interdite. De même, les vieilles femmes étaient les dépositaires privilégiés des croyances populaires, elles appartenaient aux générations superstitieuses, elles transmettaient les connaissances et recettes anciennes lors des veillées villageoises, ou directement aux enfants des deux sexes qui étaient confiés aux vieilles femmes durant les premières années de leur vie. Ainsi, les chasseurs de sorcières voulaient exterminer ces vieilles femmes qui pouvaient nuire au développement du christianisme épuré, en fait, les sorcières étaient considérées par les élites culturelles et sociales comme des reliques anachroniques d'un temps païen, comme des freins à la diffusion de l'orthodoxie et de la morale nouvelle, comme des concurrentes de tous ceux qui cherchaient à modifier la culture populaire traditionnelle. Ainsi le mouvement de la chasse aux sorcières est venu du haut et a été véhiculé par la théorie démonologique mais il a été diffusé grâce à une partie des ruraux qui a adhéré à la persécution.