2.2 Commentaire

2.2.1 MAGIE ET SORCELLERIE AU VILLAGE

Dans cette 1ère partie, Robert Muchembled montre qu'au Moyen Age, la société était hantée par un sentiment d'insécurité, par la peur de dangers réels et imaginaires : la faim, la misère, le froid, la peur de la mort subite, la présence menaçante d'errants et de déclassés dans la société, les bêtes sauvages, notamment les loups et des autres menaces qui pèsent sur un monde fragile où l'homme ignore tout du fonctionnement du corps humain et où il est techniquement incapable de dominer la nature. De plus, il existe également des dangers qui nous semblent imaginaires mais qui étaient considérés comme bien réels par les paysans de l'époque : ils craignaient la nuit qui, selon eux, était le moment où sortaient démons, diables, sorciers et loups-garous. De même ils ne considéraient aucun phénomène tel le passage d'une comète, un tremblement de terre, etc comme naturel mais c'était pour eux, une punition divine ou le signe d'une malédiction. L'homme se sent ainsi menacé dans un univers où il ne contrôle rien , il cherche alors à se protéger et à éloigner ses peurs par des rites et tabous, en ce sens tout homme était un peu sorcier car il tentait de chasser magiquement le malheur, d'attirer la richesse ou l'amour... Et lorsqu'il n'arrivait pas à ses fins, il faisait appel à plus fort que lui : Les sorciers considérés comme devins et guérisseurs locaux. C'est donc dans ce contexte villageois normal et quotidien qu'il faut replacer la sorcellerie dite populaire avant qu'elle ne soit accusée aux XVIè-XVIIè siècles.

2.2.1.1 La vie devant soi...

Dans cette partie, l'auteur prend l'exemple des " Evangiles des Quenouilles " édités à Bruges vers 1475, chez l' imprimeur Colard Mansion et écrits par un ou plusieurs auteurs anonymes. Ce recueil contient de nombreux et brefs récits racontés par six matrones réunies le soir à l'occasion d'une veillée paysanne, pour causer et rire avec les femmes du lieu en filant la quenouille, ces matrones racontent en langue picarde des faits arrivés dans les villages ou donnent des recettes magiques visant à rester en bonne santé, à devenir riche, à obtenir l'amour de quelqu'un ou au contraire à se débarasser de son mari ou amant, visant aussi à garder ses animaux en bonne santé car la prospérité des bêtes est indispensable au Moyen Age, voici un exemple de ces récits :

"- si vous avez mari rebelle et qui ne vous veuille donner d'argent à vostre besoing, prenez le premier neu d'un festu de fromment cueilli auprès de terre la nuict sainct Jan, tandis qu'on sonne none, et mettez-le au trou du coffre au lieu de la clef, et sans faulte elle s'ouvrira .".

De même, ces récits font référence à plusieurs procès et éxécutions, par exemple l'histoire d'Aldegonde de Rue, veuve de Simon Grotart, demeurant à Bazuel, en Cambrésis. Elle a été accusée de sorcellerie lors d'une information tenue devant la justice du lieu, le 9 aout 1601, par Grégoire Florut et sa femme, paysan aisé du village : ils affirmèrent que Aldegonde de Rue leur avait demandé les " restes " devant leurs chevaux, ils les lui avaient refusés et avait envoyé Aldegonde sur le fumier si elle en voulait... Le lendemain, un des chevaux de Grégoire mourut subitement, ainsi ils jugeaint Aldegonde responsable de cette mort... Torturée les 29 et 30 aout, Aldegonde avoue que son diable familier s'appelle GAUWE et qu'il lui a donné une poudre pour maléficier le cheval de Grégoire Florut. Elle admet également avoir fait mourir d'autres bêtes du village : vache, génisse, deux autres chevaux... Elle avoue enfin la copulation satanique et la participation au sabbat. Le 31 aout, elle est condamnée à être étranglée puis brûléé. L'auteur montre d'autres exemples de ce genre, ainsi tous ces récits reflètent la superstition des villageois pour qui rien n'est naturel mais, au contraire, toujours dû soit à une punition divine, soit à une sorcière, il faut donc trouver un bouc émissaire, en général les plus riches,qui ont peur de perdre leur " bonheur " à cause de personnes sans bien, traitent les plus pauvres qu'eux de sorciers, ici, Aldegonde de Rue est une proie idéale et tous les villageois ayant perdu une bête la tiennent pour responsable.

2.2.1.2 La mort en ce village

Cette 2ème partie aide à bien se situer dans le contexte du Moyen Age : la mort était très fréquente, les vieillards n'existaient pas ou peu, les femmes mouraient souvent en couche et un nouveau-né sur deux atteignait l'âge de un an, la démographie du XVIIè siècle était en " dents de scie " : une courbe affectée par des creux brutaux suivis de fortes reprises. Les guerres, famines, maladies faisaient d'innombrables victimes et ceux qui restaient n'avaient d'autres recours que la religion et la magie. Pour ne pas désespérer devant les ravages d'une maladie, les paysans avaient recours à des recettes et rites comme celle ci :

"- Voulez-vous savoir si un homme malade mourra ou non ? Mettez de son urine dans un vase et faîtes-y goutter le lait d'une femme qui nourrit un garçon à la noire chevelure. Si vous voyez le lait se maintenir à la surface, il mourra ; mais si le lait se mélange avec l'urine, le malade a des chances de guérir.".

Cette recette fait parti d'un livre qui en comporte 80 et qui ont été copiées dans des manuscrits grecs et latins par un moine, Nicolas de Gorram, et rédigées en langue vulgaire afin qu'elles soient diffusées auprès des foules rurales privées de tout secours médical. L'éditeur les a transcrites en français moderne. Ainsi, le corps humain est un microcosme dans lequel sévit la maladie sous l'influence d'une force extérieure,invisible et domiciliée dans le macrocosme qu'est l'univers... Les Evangiles des Quenouilles comportent aussi ce genre de remèdes pour lutter contre les maladies :

"- Celui qui a les fièvres quartaines fasse tant qu'il treuve le trèffle à quatre feuilles, et s'en desjeune par quatre jours, et pour vray elles le laisseront.".

Ainsi, tous ces rites sont encrés dans les mentalités mais l'église condamne ces pratiques supersticieuses et reproche aux paysans de ne pas faire confiance à Dieu... Les paysans continuent cependant de pratiquer ces recettes magiques pour lutter contre les maladies, la pauvreté, la mort et, lorsqu'ils ne parviennent pas à leurs fins, ils font appel aux sorciers qui sont alors considérés comme des devins et guérisseurs.

2.2.1.3 Devins et guérisseurs

Le devin-guérisseur porte des noms différents selon les régions, c'est en réalité un sorcier villageois. Il exerce plusieurs fonctions : médecin, prêtre, savant... Et dispose d'un " savoir " efficace aux yeux de ses concitoyens. Il est indispensable car il régule les forces magiques ; la mentalité des campagnes était particulière : les paysans imaginaient un sorcier ou une sorcière traçant un cercle magique sur leur territoire et provoquant ainsi l'invasion des forces menaçantes : le sorcier ou la sorcière était locale et il fallait donc avoir recours à des guérisseurs extérieurs qui désignaient l'ennemi inconnu que l'on pouvait alors combattre... Les sorciers, devins, guérisseurs et désenvoûteurs étaient donc omniprésents dans ces campagnes, or les élites culturelles et sociales, qui ne venaient jamais en ces lieux, n'avaient pas besoin d'avoir recours à la magie alors que les ruraux pensaient magiquement le monde et ses drames afin d'éviter le désespoir total, cet univers magique les aidait simplement à vivre et à supporter leur quotidien dangereux... Et cette vision du monde était pour eux un équilibre, cependant les élites dénoncèrent ces superstitions paysannes, accusant de démoniaque ce que les villageois jugeaient magique ; et peu à peu, on interdisait ces pratiques, de consulter des devins sous peine de bannissement. Progressivement, le devin s'est vu assimilé au sorcier, par les théologiens et les juristes tout d'abord, puis par certains ruraux. De nombreux magiciens populaires ont été traduits en justice, ils admettaient être guérisseur mais non suppôts de satan, cependant ils reconnaissèrent rapidement ces accusations sous la torture, les bûchers se sont alors multipliés ; les villageois accusaient ces magiciens par crainte d'être également brûlés... Le sorcier devint alors la cible d'une persécution d'une rare violence.


Retour