2. PRESENTATION

2.1. Saint Jérôme

2.1.1 Le saint fondateur

Saint Jérôme vient du latin hiéronymus. Il est l’un des quatre docteurs de l’Eglise avec: Ambroise, Saint Augustin et Grégoire le Grand. Né en Dalmatie ou en Vénétie en 340, il part à Rome étudier le grec et le latin avec le célèbre grammairien Donat. Après avoir reçu le baptême, il part pour la Terre Sainte et se retire trois fois dans le désert de Syrie pour y faire pénitence et mener une vie d’anachorète, semblable à celle de Saint Paul l’Ermite. De retour à Rome vers 382, il devient un des familiers du Pape Damase qui le charge de traduire la Bible en latin d’après la version grecque de la septante et les manuscrits hébreux conservés. Il meurt en 420. Plusieurs fois révisée, sa version de la Bible, appelée vulgate, est reconnue comme version officielle de l’Eglise par le Concile de Trente. Plusieurs épisodes ont été ensuite rattachés à sa vie par des textes apocryphes comme la Légende Dorée de Jacques de Voragine notamment : les tentations au désert, les visions du saint et l’amitié avec un lion. Mais la partie de sa vie qui nous intéresse ici est celle de son séjour dans le désert de Chalcis. Il y vécut trois ans en anachorète. Dans la solitude du Chalcis, ses yeux éblouis voient danser les jeunes filles. Il chasse ses visions en se frappant la poitrine avec une pierre. Il écrivit, sous la dictée du Saint Esprit, la vie imaginaire de Saint Paul l’Ermite. Un jour il s’éveille en sursaut croyant entendre les trompettes du Jugement Dernier. Ses attributs, présents dans l’iconographie, sont : la Bible, le chapeau cardinalice et le lion. Il est souvent représenté âgé et barbu. On peut également trouver comme attribut un crâne associé à l’idée de pénitence.

2.1.2. Le tableau de pontormo

D’abord attribué à Léonard de Vinci, ce n’est qu’au milieu du XXème siècle qu’il est enfin restitué à Pontormo. Il y a beaucoup d’hypothèses sur sa datation mais la plus sûre semble être celle de Cox-Rearick qui note une similitude avec la " Madone au petit Saint Jean - Baptiste " des Offices (fig. 1). Elle propose de le dater entre 1527 et 1528, dates reprises par Berti et l’ensemble de la critique. Le Saint Jérôme reste cependant une oeuvre inachevée, probablement abandonnée en 1529 lors du siège de Florence. L’hypothèse selon laquelle il pourrait s’agir de la dernière oeuvre peinte pour Lodovico Capponi, laquelle aurait été interrompue à la suite des troubles que connut la ville, est envisageable. Ce serait pour cette raison que Vasari n’en fait pas mention. Cette supposition nous est suggérée par le lien qu’il est possible d’établir entre le retable de Santa Félicita et le personnage de Saint Jérôme. Lors de la création des théatins, l’ordre manifesta son attachement au saint sous la protection duquel la congrégation du Divino Amore était déjà placée. Après le Sac de Rome, l’admonestation que Saint Jérôme s’était adressée est citée en exemple par Erasme ainsi que par bon nombre de prélats de l’Eglise romaine. Comme nous allons le voir dans le paragraphe 2.2 " L’Observance ", son exemple devient le thème favori des prédicateurs, de plus en plus nombreux, amplifiant ainsi la dévotion manifestée à son égard. Il semblerait donc normal que Lodovico Capponi, visiblement attiré par la Réforme italienne de l’Eglise, ait voué un certain culte au saint patron des théatins, qui avaient de surcroît bénéficié de la faveur de Savonarole.

2.2. L’Observance

2.2.1. Vers une nouvelle dévotion

A la fin du XIVème siècle nait une nouvelle forme de dévotion inspirée par l’Observance. Elle ajoute au modèle d’autorité du saint l’aspect jusqu’ici négligé du pénitent au désert. Entre le milieu du XIVème et le début du XVème siècle, dans le contexte de l’observance, l’érémitisme revient au goût du jour, cette fois plus spirituel que les siècles précédents, plus courtois incarné par la figure raffinée du pénitent. Le modèle iconographique plaît aux cercles de l’observance, en particulier à un patriciat urbain enrichi car il répond mieux à leur forme de piété que l’ermite traditionnel.

2.2.2. L’itinérarium mentis

La vie contemplative risque à chaque instant de buter sur la tentation de la chair. La pénitence est le meilleur remède à la disposition de l’ascèse. Les représentations ne sont dès lors plus narratives mais topiques. Elles sont un " miroir " spirituel à l’attention des moines et de leur mécène, un " miroir " faisant parcourir les étapes de l’élévation spirituelle : résumé en image de l’itinérarium mentis qui conduit à la contemplation de Dieu. Le pénitent n’exalte pas son corps, il le contraint à s’humilier parce qu’en lui se dissimule le démon.

2.2.3. Programme spirituel

Saint Jérôme en vient à incarner tout un programme spirituel. Il sert de père fondateur à des communautés religieuses qui se réclament de sa double expérience érémitique et monastique. Elles se sont inspirées de son programme dressé dans son épître à Eustochium mais également des règles de Saint Benoît et de Saint Augustin. C’est entre 1450 et 1500 que s’approfondit, parmi les cercles cultivés et aisés des villes de l’Italie, la reconnaissance de Saint Jérôme. Son succès est du, en grande partie, à une meilleure information sur Saint Jérôme grâce à ces communautés et à la diffusion en langue vulgaire des principaux textes du corpus hiéronymite. A travers les morceaux choisis de la correspondance et des traités dévotionnels, l’image s’affine et se précise. Un peu partout domine l’épistolaire de Saint Jérôme et le recueil " Hiéronymus Vita et Transitus ". Ce qui importe, loin du merveilleux des contes monastiques, c’est l’identification à un modèle de vertu chrétienne qui puisse valoir pour le Salut des laïcs dont les hiéronymites ont charge d’âme. Il se développe alors un programme de pureté intérieure et de chasteté selon l’idéal traditionnel retrouvé par l’Observance : l’exemplum.

2.3. Savonarole et le contexte de la Contre-Réforme

2.3.1. Réformer l’Eglise

Depuis les prédications de Savonarole, l’eschatologie c’est-à-dire l’ensemble des doctrines concernant l’Homme après la mort, était devenue une des principales préoccupations des piagnoni. Savonarole incite l’Homme à la pénitence pour obtenir son Salut. Il prône le retour à la pureté originelle de la religion. Ce dernier condamnait les abus de l’Eglise catholique. Avec lui naquit l’idée de réformer l’Eglise qui présidera au Concile du Latran (1512-1517). Ces idées seront reprises avec plus de tempérance par Erasme qui s’attachera à la relecture des textes sacrés. Le plus savonarolien des saints est bien Saint Jérôme. Un très beau dessin dont l’attribution est incertaine (Pontormo, Bronzino ou Rosso...) représente un Saint Jérôme occupé à la lecture des écritures (fig. 2). L’artiste montre l’ascète éperdu de pénitence interprétant les textes sacrés. Ces saints en prière sont étroitement liés à la volonté de réformer l’Eglise catholique et se retrouvent tout particulièrement à l’époque de la Contre-Réforme. Pontormo fut fortement influencé par la pensée de Savonarole lors de sa formation auprès de Piero di Cosimo.

2.3.2. Saint Jérôme nouveau Christ

L’idéal de pauvreté évangélique hiéronymite est associé à l’ascèse monastique franciscaine. Il insiste sur l’idée, en vogue à Venise, de la rénovation de la vie religieuse à travers l’érémitisme et la vie contemplative. Par son ascèse Saint Jérôme s’efforce de suivre l’exemple du Christ mort sur la croix que rappelle, dans l’iconographie, le crucifix placé juste en vis à vis. En lui attribuant la palme du martyr pour ses jeûnes et ses macérations dans le désert l’Eglise en fait un exemplum : vivant dans la véritable foi du Christ. La séquence choisie pour l’iconographie du pénitent au désert se caractérise par l’intensité du drame qui se joue devant l’observateur. Le saint est saisi au moment le plus indécis, celui où tout peut encore arriver. Au milieu des troubles les plus affreux, assailli par les tentations, il s’apprête à se frapper la poitrine d’une pierre. Son soutien est le Christ sur la croix. Son but est de l’imiter jusqu’au plus supprême sacrifice de soi. L’image ne propose aucune solution mais laisse à chacun le soin de répondre selon sa propre expérience. L’Immitatio Christi est le message central à la spiritualité du temps. L’iconographie est comme un miroir moralisé, la pénitence étant la plus sûre étape dans l’imitation du Christ. Dans le " Divoto transito di sancto hiéronymo " de 1490 à Florence, Francesco Bonaccorsi dit qu’il est de tous les saints et les bienheureux celui qui a le mieux imité le Christ. N’est-il donc pas à son tour digne de servir d’exemple ? Saint Jérôme serait donc la plus sûre promesse de Salut éternel faite par un saint qui, sa vie durant, s’est conformé à l’enseignement du Christ.


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