L'humanisme


Plan :


I - Les sources italiennes

L'Humanisme fut d'abord une activité, un métier. Dès le XIIIe siècle, le premier usage d'"umanista" désigne le professeur de langues anciennes avec une connotation péjorative (le "pédant", le "grammairien") qui n'a rien de surprenante à une époque où les deux modèles de perfection humaine étaient le Saint et l'Héroïsme militaire. Qu'avait-on besoin d'un obscur anachorète de l'intellect passant son existence à traduire et commenter de vieux textes surannés et oubliés de tous ?
Cependant, cet enseignement discret des langues anciennes allait susciter un intérêt sans cesse croissant pour les grands auteurs grecs et latins. L'Italie allait constituer un parfait terreau d'éclosion et d'épanouissement d'un véritable mouvement de retour à l'antiquité, deuxième définition que l'on puisse donner à l'Humanisme. En effet, le développement d'élites urbaines, l'arrivée de grecs fuyant l'avancée des turcs et porteurs de manuscrits et de traditions exégétiques puis la multiplication des traductions qui s'ensuivit permit à l'étude des langues anciennes (alliée à une exigence de pureté grammaticale nouvelle) de devenir systématique. L'invention de l'imprimerie, le développement définitif des villes, la création massive d'universités contribuèrent à une diffusion accélérée de cette (re)découverte des grands Anciens.
Ce ressourcement de la pensée engendra un état d'esprit, un changement de perspective dans la perception que l'homme avait de lui-même et du monde dans lequel il vivait. C'est la troisième définition de l'Humanisme. La plus profonde et la plus durable. "On ne peut rien voir de plus admirable dans le monde que l'homme" disait Pic de la Mirandole en 1486.
Le retour à la pensée antique remit en vogue certains thèmes et certaines notions; notamment celle latine de l'"humanitas" : l'homme idéal est celui qui se réalise lui-même, atteignant le plus grand accomplissement intérieur grâce à l'étude des "lettre anciennes" (les fameuses "humanités" : notion latine de l'"humanores litterae").
L'esprit humaniste est donc le grand introducteur de cette conception moderne de l'Humanité : l'homme digne de ce nom est celui qui a pour essence la culture. Plus qu'une philosophie, l'Humanisme est donc un vaste mouvement qui fédère par delà les disciplines, les pays et les moeurs tous les esprits animés par une quête de l'homme idéal et par une confiance dans le progrès de l'humanité.
Lorsqu'au XVe siècle, l'Humanisme cantonné en Italie va rapidement se propager dans toute l'Europe, atteignant l'apogée de son rayonnement au cours du XVIe siècle; c'est tout un édifice capital de la pensée qui se construira... l'édifice de la Modernité.


II - La Diffusion de l'Humanisme

Cette propagation rapide fut possible grâce à la combinaison de trois grands facteurs :
- Les grandes découvertes ouvrent des horizons nouveaux, fouettent l'imagination, suscitent de nouvelles réflexions et de nouvelles disciplines (comme la cosmographie de Mercator).
- La présence de souverains éclairés, de princes protecteurs ou de puissants épris de culture favorisent l'esprit nouveau... et son financement : François Ier en France, les Médicis (Cosme puis Laurent) à Florence, Mathias Corbin en Hongrie, le cardinal Cisneros en Espagne...
- Enfin, le développement de l'imprimerie facilite la diffusion des traductions des grands Anciens mais aussi des oeuvres humanistes comme celle d'Erasme qui vit dans la région d'Europe la mieux pourvue en villes, riche en échanges culturels et première zone d'expansion de l'imprimerie et des foires aux livres : la Hollande.
Au XVIe siècle, l'Humanisme rayonne et est devenu le mouvement emblématique du renouveau de la pensée et de la sensibilité européenne qu'est la Renaissance. Parmi les principales figures humanistes; des peintres (Vinci, Dürer, les Holbein, Metsys), des philosophes (Bacon, Vives, Thomas More), des moralistes (Montaigne, Rabelais, Erasme) mais aussi des médecins, des astronomes, des sculpteurs, des philologues comme Guillaume Budé, des imprimeurs influents et prestigieux comme Etienne Dolet.
Mais cet esprit de conquête ne va pas sans résistance. Trois domaines sont particulièrement affectés par l'irruption de l'esprit humaniste : l'enseignement, la religion et la politique.


III - Le triple combat de l'Humanisme

A - L'éducation

Dans sa volonté de réaliser un modèle humain, l'humaniste porte un souci particulier à la formation de l'enfant d'où les nombreux traités de pédagogie (Vives, Erasme, T. Eliot, Murmellius,...) mais aussi les virulentes critiques adressées à l'enseignement de tradition médiévale (Rabelais, Montaigne, caricatures de Bruegel...). Face aux universités sclérosées par le formalisme, le dogmatisme stérile de la scolastique; les humanistes pronent une éducation libérale caractérisée par le respect de la personnalité de l'enfant, le savant dosage entre effort intellectuel et jeu, la pratique des auteurs anciens, un dialogue fécond entre le maître et l'élève.
Le mouvement humaniste finira par triompher des vieilles universités médiévales (citadelles aristotéliciennes comme la Sorbonne en France), leur substituant des établissements humanistes dont les plus prestigieux furent le Collège des Lecteurs Royaux (futur Collège de France), St Paul à Londres, le Corpus Christi (Collège d'Oxford), Deventer (Pays-Bas), le "Gymnase" strasbourgeois de Sturm, le Collège trilingue (Latin, Hébreux, Grec) de Louvain, l'Alcala de Hénarès en Espagne.

B - La religion

La redécouverte des valeurs morales encloses dans la littérature gréco-latine et l'affirmation d'une liberté de l'homme par la pensée ont souvent engendré des conflits avec l'Eglise et ses doctes attachés à la lettre de la Tradition ou au ritualisme. En effet, l'humaniste pousse à une indépendance d'esprit, un libre examen des textes religieux qui sont vite perçus comme subversifs. Ainsi, l'imprimeur humaniste Dolet sera brûlé comme hérétique et athée à Paris en 1546.

C - La politique

Caractérisée par l'amour du peuple, le pacifisme, l'esprit oecuménique et la volonté d'équilibre entre les pouvoirs; la pensée humaniste est également amenée à tenter d'influer sur les décisions politiques.
Se considérant comme appartenant à la "République des Lettres" qui serait sans frontière; les humanistes les plus éminents font toujours passer les intérêts moraux et permanents avant les intérêts politiques (matériels et temporels). Ce fut le sens des activités d'Erasme auprès de Charles Quint, de Budé auprès de François Ier ou de Thomas More auprès d'Henri VIII. En adressant aux quatre grands (Charles Quint, François Ier, Henri VIII et Ferdinand de Habsbourg) les "Quatre paraphrases sur l'Evangile" (en 1522-1523) afin d'empêcher une guerre européenne; Erasme> fit là le geste le plus représentatif de ce que put être l'esprit humaniste sans frontière.


IV - L'homme selon les humanistes

L'humanisme comme mouvement de pensée caractéristique de la Renaissance a défini une nouvelle image de l'homme où sont affirmées sa puissance créatrice, sa liberté de penser et d'agir. L'humanisme a fait émerger, par le fait même, une nouvelle vision du monde en redécouvrant les sources gréco-latines de notre civilisation, en critiquant les institutions et les traditions du Moyen Âge, en renouvelant nos modes de connaissances et nos savoirs.

Malgré les différentes conceptions de l'homme, du monde et de Dieu qui ont existé au Moyen Âge, il est possible de dégager un modèle général qui est propre à cette période : le théocentrisme. Les principes généraux de ce modèle sont les suivants :

Afin de mettre en rapport la conception humaniste de l'homme avec la conception théocentrique, il nous faut un auteur emblématique : Pic de la Mirandole (1463-1494), le " prince des érudits ". Dans De la dignité de l'homme (1486), ce dernier écrit une fable de type prométhéen où le parfait ouvrier, c'est-à-dire Dieu, définit ce que sera l'homme au sein de son oeuvre.

"[...] le parfait ouvrier décida qu'à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l'homme, cette oeuvre indistinctement imagée, et l'ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : " si nous ne t'avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l'aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t'ai confié, qui te permettra de définir ta nature. Si je t'ai mis dans le monde en position intermédiaire, c'est pour que de là tu examines plus à ton aise tout ce qui se trouve dans le monde alentour. Si nous ne t'avons fait ni céleste, ni mortel ni immortel, c'est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures, qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de ton esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines. "

Pic de la Mirandole, De la dignité de l'homme, 1486.

Pour Pic de la Mirandole, l'homme est apte à diriger lui-même sa destinée, et c'est là sa dignité. Par le libre arbitre, il peut décider de n'être qu'une bête ou de s'élever jusqu'à Dieu. De la Mirandole définit ainsi une nouvelle conception du monde : l'anthropocentrisme.
Le concept de dignité de l'homme a donc changé par rapport à celui du Moyen Âge. L'homme n'est plus lié à un ordre hiérarchique, il est hors de cet ordre. Ce n'est plus cet ordre hiérarchique qui garantit sa dignité, mais l'exercice de sa liberté; n'ayant aucune nature propre, il peut être de toutes les natures, il est donc auto-créateur. Dorénavant, la vie terrestre exige de l'homme de modifier, d'adapter son monde à ses exigences. Il doit humaniser la nature. De plus, le respect de la personne humaine est au centre de ses préoccupations, elle doit être traitée avec bienveillance, courtoisie, bonté et charité. Cette nouvelle conception de l'homme singularise les êtres talentueux et valorise l'esprit et le corps humains.

La conception de l'homme de Pic de la Mirandole est partagée par les humanistes, mais ce serait brosser un tableau peu respectueux de la réalité que d'affirmer qu'il n'y a eu qu'une seule forme d'humanisme. Il serait plus juste de parler d'une communauté d'esprit par rapport à l'homme et à la nature. Sans aucun doute, tous les humanistes s'accordent avec Pic de la Mirandole pour dire ceci : "Quel grand bonheur pour l'homme ! Qui n'admirerait ce caméléon que nous sommes."


V - L'éducation humaniste

Comme le dit Érasme (1469-1536), "l'homme ne naît pas homme, il le devient" et il parvient à réaliser son humanité par l'éducation et les studia humanitatis (grammaire, rhétorique, morale, poésie).

Le nouveau discours pédagogique humaniste, que les Jésuites mettront en pratique dans leurs collèges à partir du milieu du XVIème siècle, a comme principes :

Rabelais (1494-1553) dans les Horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel nous donne un exemple de ce que peut alors contenir un programme d'études humaniste. Voici un extrait d'une lettre de Gargantua à son fils, Pantagruel :

"J'entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement. Premièrement la grecque, comme le veut Quintilien, secondement la latine, et puis l'hébraïque pour les saintes lettres, et la chaldaïque et arabique pareillement ; et que tu formes ton style quant à la grecque, à l'imitation de Platon, quant à la latine, de Cicéron. Qu'il n'y ait histoire que tu ne tiennes en mémoire présente [...]

Des arts libéraux, géométrie, arithmétique et musique, je t'en donnai quelque goût quand tu étais encore petit, en l'âge de cinq à six ans ; poursuis le reste, et d'astronomie saches-en tous les canons ; laisse-moi l'astrologie[...] comme abus et vanité.

Du droit civil, je veux que tu saches par cur les beaux textes et me les confères avec philosophie.

Et quant à la connaissance des faits de nature, je veux que tu t'y adonnes curieusement : qu'il n'y ait mer, rivière ni fontaine, dont tu ne connaisses les poissons, tous les oiseaux de l'air, tous les arbres, tous les arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tout Orient et Midi, rien ne te soit inconnu.

Puis soigneusement revisite les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans contemner les thalmudistes et cabalistes, et par fréquentes anatomies acquiers-toi parfaite connaissance de l'autre monde, qui est l'homme. Et par lesquelles heures du jour commence à visiter les saintes lettres, premièrement en grec le Nouveau Testament et Épitres des Apôtres et puis en hébreu le Vieux Testament.

En somme, que je voie un abîme de science : car dorénavant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra sortir de cette tranquillité et repos d'étude, et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison et nos amis secourir en toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants.

Et veux que de bref tu essayes combien tu as profité, ce que tu pourras mieux faire que tenant conclusions en tout savoir, publiquement, envers tous et contre tous, et hantant les gens lettrés qui sont à Paris comme ailleurs.

Mais parce que selon le sage Salomon, sapience n'entre point en âme malivole et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aimer et craindre Dieu, et en lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir [...] Et quant tu connaîtras que tu auras tout le savoir de par delà acquis, retourne vers moi, afin que je voie et donne ma bénédiction avant de mourir."

François Rabelais, Les Horribles et Épouvantables Faits et Prouesses du très renommé Pantagruel, chap. VIII, 1532.

On pourrait considérer qu'un tel programme d'études, qui cherche à couvrir toutes les disciplines et tous les savoirs afin, comme le dit Gargantua, " que rien ne [nous] soit inconnu ", entraîne un certain désordre dans la pensée et un affaiblissement de la rigueur intellectuelle. Il est vrai que le syncrétisme des savoirs (astrologie, scolastique, cabale, chiromancie, etc.) qui est propre à la philosophie humaniste a parfois les apparences d'un patchwork plus ou moins bien réussi. Mais les pensées de Ficin, d'Érasme ou de Pic de la Mirandole sont éminemment critiques, car elles permettent de renouveler les connaissances en associant et en confrontant des savoirs et des vérités de natures différentes : toutes choses qui autorisent l'homme à faire l'expérience de la liberté de penser.

Dans le programme d'études humaniste, on accorde un primat à la connaissance des langues parce qu'elle donne un accès direct aux textes de l'Antiquité. La culture humaniste est trilingue (latin, grec, hébreu). Mais les humanistes n'ont pas de mépris pour les langues vernaculaires. Le philologue et philosophe Laurent Valla (1407-1457) dit du latin :

Ce fut la langue de Rome qui a appris les arts libéraux à tous les peuples. Ce fut elle qui leur enseigna les bonnes lois et qui ouvrit le chemin à toutes les formes du savoir. Ce fut elle qui les libéra de la barbarie. Sainte, grandement sainte est donc la langue latine, grande est sa divine puissance [...].

Grâce à l'étude des langues et à la critique philologique et historique des textes sacrés, les humanistes proposent des corrections à la Vulgate et de nouvelles versions des livres saints.

Les humanistes ont pour la culture de l'Antiquité gréco-romaine une sorte de fascination, comme un enchantement envers tout ce qui est pour eux à l'origine de la civilisation occidentale. Ce retour dans le temps ne vise pas à répéter ou à simplement imiter les Grecs et les Romains de l'Antiquité, mais à faire un usage critique de leurs observations et expériences dans tous les domaines de la pensée et de l'action humaines pour trouver des solutions aux problèmes qui caractérisent la Renaissance. Un extrait d'une lettre qu'écrit, en 1513, Nicolas Machiavel à François Vettori nous parle de ce contact intime entre les Anciens et les Renaissants.

"Le soir venu, je m'en retourne dans ma maison et j'entre dans ma librairie. Je dépose sur le seuil mes vêtements boueux de tous les jours, je m'habille comme pour paraître dans les cours et devant les rois. Vêtu comme il convient, j'entre dans les cours antiques des hommes d'autrefois. Il me reçoivent avec amitié auprès d'eux. Je me nourris de l'aliment qui seul est le mien et pour lequel je suis né. L'ose sans fausse honte converser avec eux et leur demander les causes de leurs actions, et si grande est leur humanité qu'ils me répondent et pendant quatre longues heures, je ne sens plus aucun ennui. J'oublie toute misère, je ne crains plus la pauvreté, la mort ne m'effraie plus. Je passe tout entier en eux."

Nicolas Machiavel, Lettre à François Vettori, 1513.

Le contact avec les auteurs d'autrefois permet à Nicolas de Cues (1401-1464), Pic de la Mirandole et Marsile Ficin (1433-1499) de redécouvrir Platon et de traduire ses dialogues ainsi que les oeuvres néoplatoniciennes (Plotin, Proclus). Cette redécouverte provoque de grands débats avec l'aristotélisme régnant et des tentatives de réconciliation de Platon et Aristote s'ensuivent.


VI - Montaigne

D'entre tous les humanistes de la Renaissance, Montaigne (1533-1592) est celui qui est le plus sceptique par rapport à cette nouvelle conception de l'homme. La mort de son père, la Saint-Barthélémy, sa maladie, mais aussi l'intolérance, la superstition et le fanatisme de son époque ont raison, chez Montaigne, de la vision optimiste de l'humanisme. En 1572, Montaigne entreprend l'écriture des Essais. À l'en-tête de ceux-ci, on trouve cet avis au lecteur :

"C'est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dés l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée. Je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire. Mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. [...] Si c'eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse mieux paré et me presenterois en une marche estudiée. Je veus qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contantion et artifice : car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse esté entre ces nations qu'on dict vivre encore sous la douce liberté des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse très-volontiers peint tout entier, et tout nud. Ainsi, lecteur, je suis moy-mesmes la matiere de mon livre : ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq ; de Montaigne, ce premier de Mars mille cinq cens quatre ving."

Michel Eyquem de Montaigne, Essais, livre I, " Au lecteur ", 1580.

Montaigne met au centre de tout questionnement sur l'univers, la nature ou l'homme, une individualité particulière, en fait, sa conscience ou sa perception personnelle du monde. Mais pour comprendre cette entreprise, il nous faut évaluer cet être qu'est l'homme, ses capacités de connaître, et tenter de répondre à la célèbre question de Montaigne : que sais-je ?
Pour Montaigne, somme toute, l'homme est un être fort limité. Alors peut-il avoir accès à la connaissance du bien, du beau et du vrai ? Avons-nous la possibilité de communiquer avec l'être des choses ? Un autre extrait des Essais de Montaigne nous met sur la piste d'une réponse.

"Les autres forment l'homme ; je le recite et en represente un particulier bien mal formé, et lequel, si j'avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayement bien autre qu'il n'est. Mes-huy c'est fait. Or les traits de ma peinture ne fourvoyent point, quoy qu'ils se changent et diversifient. Le monde n'est qu'une branloire perenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Ægypte, et du branle public et du leur. La constance mesme n'est autre chose qu'un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object. Il va trouble et chancelant, d'une yvresse naturelle. Je le prens en ce point, comme il est, en l'instant que je m'amuse à luy. Je ne peints pas l'estre. Je peints le passage [...]"

Michel Eyquem de Montaigne, Essais, livre III, chap. II : " Du repentir "1580.

"Je ne peints pas l'être. Je peints le passage." Pour comprendre cette affirmation, il nous faut examiner comment, pour Montaigne, nous connaissons.
Tout n'est alors que changement, mouvement, tout n'est qu'interprétation. Voilà pourquoi " je ne puis assurer mon objet " et il en est de même pour la nature humaine :

"Et si de fortune, vous fichez votre pensée à vouloir prendre son être (nature humaine), ce ne sera ni plus ni moins que qui voudrait empoigner l'eau : car tant plus il serra et pressera ce qui de sa nature coule partout, tant plus il perdra ce qu'il voulait tenir et empoigner."

Michel Eyquem de Montaigne, Essais, Livre II, chap. XII : " Apologie de Raymond de Sebonde ", 1580.

La philosophie de Montaigne produit une sévère critique des savoirs établis, de la religion comme de toutes les sciences de l'homme.


V - La postérité de l'Humanisme

L'Humanisme eut une prodigieuse postérité, une foisonnante fortune. Qu'on en juge. Une forme d'humanisme imprégna largement l'esprit des Lumières au XVIIIe siècle. Le XIXe siècle positiviste expliquait par l'entremise d'A. Comte qu'il s'agissait de substituer une "religion de l'homme" à la religion de Dieu. Et au cours de notre siècle si prompt à malmener la notion humaniste d'être humain, on peut évoquer l'humanisme marxiste, l'humanisme existentialiste, l'humanisme de l'"Autre" d'Emmanuel Levinas, l'humanisme de Camus ou de Malraux...


VIII - Bibliographie


URL d'origine : Historama et http://www.publius-historicus.com/humanism.htm

Retour