HENRI II

UN STYLE NOUVEAU

POUR UNE FRANCE NOUVELLE

par LE DUC DE LEVIS MIREPOIX, DE L'ACADEMIE FRANÇAISE

Article de Historia N°271, de février 1971

Certains de nos rois ne sont-ils pas méconnus? De Henri II, on retient surtout son amour pour Diane de Poitiers, ses rapports avec sa femme Catherine de Médicis. C'est le diminuer. Sans avoir le génie de certains de nos souverains, il a changé la politique française. Ainsi, aux images que la Télévision et le film nous ont montrées de lui récemment, il faut ajouter celle du maître actif du royaume.

Henri II est le prince qui, au milieu du XVIe siècle a changé la direction de la politique française.
Il ne montrait pas l'éclatant génie de son père François Ier, l'homme de Marignan, du Concordat et de l'alliance turque. D'aussi grande mine, d'une stature moins élancée et plus équilibrée, l'admirable portrait de Clouet montre ses jambes musclées, bien arc-boutées sur le sol. Sa carrure, en plus imposant, évoque celle de son grand-père Louis XII. Son visage est grave et semble retenir en lui cet élan forcené d'humanisme qui déchaîna les grands gestes de François Ier. Il le ressent toutefois et n'en privera pas son règne.
Le rayonnement prodigieux de François Ier n'a pas donné nom à un style. Et il y a un style Henri II. Les vulgarisations affreuses qu'on en a produit au XIXe siècle ne sauraient effacer sa valeur authentique, sa force, sa solidité, non seulement dans les meubles, mais dans l'architecture. Il confia à Pierre Lescot le soin d'exprimer, par les monuments, cette courtoisie qui veut abolir l'aspect farouche des donjons, tout en restant hautaine dans sa manière d'accueillir.
Il a inspiré à la sculpture l'idée de la double effigie, la gisante qui évoque le corps au fond du sépulcre et l'orante qui s'agenouille au-dessus pour prier sur soi-même. Dans la sculpture profane le corps se dévoile et s'impose. Et le roi encourage aussi la musique, cette musique du XVIe siècle toute en nuances et en délicatesse.
Si la cour de Louis XIV a mérité de Molière l'éloge de son bon goût pour les oeuvres de l'esprit, sous Henri II, c'est de la Cour elle-même qu'est sorti l'un des plus grands mouvements de la poésie française. La Pléiade est née de la rencontre de Ronsard et de du Bellay, gentilshommes de l'entourage immédiat du roi, autour desquels se groupèrent; en s'accordant à leur inspiration, les plus beaux talents du siècle.
L'on vit le souverain, dans une réunion solennelle, proclamer la grandeur de leur chef Ronsard. Ce prince d'un seul amour ne pouvait rester insensible aux mélodies du poète. Sa vie amoureuse est un poème savamment composé. II y a la strophe et l'antistrophe.
Epoux respectueux et assidu de Catherine de Médicis, il fut l'amant tout aussi respectueux et encore plus assidu de Diane de Poitiers, beaucoup plus âgée que lui. La reine, passionnément éprise, ne voulait pas le perdre et savait gré à la favorite de ne pas la séparer du roi.
Le connétable de Montmorency, qui eut toujours la confiance politique du souverain trouvait un peu ridicule et importune à son influence cette double fidélité.. Il poussa sur le chemin royal une belle Ecossaise, lady Fleming qui avait accompagné la petite Marie Stuart à la cour de France. De cette rencontre naquit un fils Henri d'Angoulême. Cependant la reine et la favorite se liguèrent et mirent fin à l'intrigue. Le souverain retrouva sa cadence. Il était né rangé.
Méthodique dans ses amours, il l'était dans l'organisation de ses journées. Levé à sept heures, il avait une étiquette pour " lui donner la chemise ". Il déjeunait à onze heures et soupait à cinq. C'était le repas principal sur une table somptueusement parée et servie. Mais la chasse rompait souvent ces habitudes.
La Cour restait très ouverte et l'on approchait facilement le roi.
Henri assistait ponctuellement au conseil, s'informait, avisait et décidait lui-même.

Il faut se préparer à la guerre

Trois souverains ont ouvert les barrières du pré carré pour s'élancer vers l'Italie où se décidait le sort de l'Europe Charles VIII, Louis XII, François 1er. Sans repousser brusquement cet héritage, Henri II va procéder à sa liquidation et se replier sur l'intérieur où l'appelleront de graves soucis. Cela n'ira pas tout droit, mais par étapes contrastées.
D'abord, avec une ardeur contenue sous son masque sévère, Il se fera le continuateur de la querelle de son père contre Charles Quint. Une rancune personnelle l'y poussait.
Il ne pardonnait guère à l'empereur ces quatre années de rigoureuse prison qu'il avait passées, comme otage, avec son frère aîné, dans une forteresse des montagnes de Castille. Mécontent de la paix de Crépy, que la mort de son jeune frère rendait caduque, il ne tarda pas à reprendre les hostilités.
Son règne avait débuté par une sorte de défi. Il avait mandé l'empereur à son sacre pour y remplir la fonction de comte de Flandres. Et le César fit répondre que s'il venait, ce serait à la tête d'une armée.
Le roi ne doutait pas qu'il ne fallût en découdre et s'y préparait. Il renforçait son artillerie, protégeait les vieux soldats, les invalides de guerre, qu'il fit recueillir par les abbayes, s'appliquait à étendre l'usage des cartes, alors très rudimentaires, pour les opérations. En outre, comme Philippe le Bel, il regarda vers la mer.
Charles de La foncière, l'historien si informé de notre marine, a nommé Henri II le précurseur de Colbert. Hommage justifié.
François n'avait pas porté un regard aussi complet sur sa marine. Ni le commandement, ni l'armement ne répondaient aux besoins du royaume. Henri s'en aperçut et arrêta un plan de constructions navales. Des chantiers s'ouvrirent, à Marseille et à Toulon d'où sortirent vingt-six galères prêtes à croiser soit sur la Manche, soit sur la Méditerranée. Elles s'ajoutaient aux grosses nefs que lui laissait son père.
Un marché fut passé avec les armateurs de Dieppe pour les vaisseaux de taille courte, permettant de virer facilement. En tout cinq cents bâtiments, capables de porter une dizaine de mille hommes. Un secrétaire d'Etat fut nommé pour les affaires maritimes. L'entretien des bâtiments était confié à forfait aux capitaines sous réserve d'inspections fréquentes. Ils devaient être toujours prêts à appareiller. En attendant, leur chiourme serait employée aux fortifications du littoral.
Le roi eut égard à la condition cruelle des forçats. Il rendit une ordonnance pour les protéger contre la brutalité des soldats, pour leur assurer une nourriture suffisante et interdire de les frapper sous peine grave.
Le recrutement des matelots était prévu par une inscription maritime. Et un nombre important de gentilshommes des provinces maritimes suivait, de douze à quinze ans, un apprentissage des choses de la mer.

Mesures politiques

D'esprit assez lent, mais juste, le roi se méfiait des décisions rapides
- Il est bien facile d'entreprendre. C'est le tout que de bien exécuter, disait-il.
Son activité diplomatique, avec Montmorency, Saint-André et ses secrétaires d'Etat, seconda de façon remarquable ses manoeuvres militaires. Pour prendre l'empereur à revers, elle maintint l'entente avec les Turcs et les protestants d'Allemagne.
Pour se garantir de l'Angleterre, elle maintint l'amitié avec l'Ecosse, la plus fidèle alliée du roi de France.
En Italie, le pape Paul III Farnèse chercha à se rapprocher d'Henri II, et les Fuorisciti, des réfugiés qui avaient fui la domination impériale, ne cessèrent d'implorer l'intervention du roi de France pour libérer la péninsule.
Des conspirations, des remuements l'agitaient de Naples à Florence, à Parme. Le parti français en Italie f ut primitivement soutenu par les Strozzi, que leur fortune dans la banque n'empêcha pas d'être de magnifiques guerriers.
Deux d'entre eux vinrent servir en France, l'un le maréchal, l'autre le chef d'escadre, Leone Strozzi. Ils payaient non seulement de leur personne, mais de leurs deniers et se montrèrent d'un dévouement beaucoup plus désintéressé que les Guise. Ceux-ci, cadets désargentés de la maison de Lorraine, étaient venus chercher fortune auprès de François en la personne de Claude. Ses descendants vont se couvrir de gloire.
La première expédition militaire du règne fut celle de Montalembert d'Essé en Ecosse.
La veuve de Jacques V, soeur des Guise, y exerçait la régence pour Marie Stuart enfant et se trouvait aux prises avec l'agitation de ses sujets réformés, soutenus par les réformés d'Angleterre. Sommerset, régent d'Angleterre, voulait s'emparer de la reine enfant pour la fiancer à son jeune souverain Edouard VI, fils d'Henri VIII.
L'expédition de Montalembert le prévint. Sommerset fut battu. Marie Stuart et sa mère, recueillies sur nos vaisseaux, voguèrent vers la Cour de France. Cette démonstration militaire permettait de conclure, à meilleur compte, le rachat de Boulogne aux Anglais.

Guerre contre les impériaux

On allait bientôt voir se ranimer le double théâtre d'opération en Italie et dans le Nord contre les Impériaux. Le pape Farnèse qui venait de mourir avait investi un membre de sa famille du duché de Parme.
A sa mort l'empereur, d'accord avec le nouveau pape Jules III, y mit une garnison. A l'appel de Farnèse qui n'acceptait pas un duché de Parme sous mandat impérial, les hostilités éclatèrent.
En Piémont, le maréchal de Brissac devait soutenir pendant plusieurs années les positions françaises avec autant de qualités de général que de dons d'administrateur.
Henri II se porta en personne aux frontières du Nord. Il venait de faire fondre sa vaisselle pour équiper ses fameuses compagnies d'ordonnances, troupes de choc, dont les maréchaux eux-mêmes s'honoraient d'être capitaines.
Accueilli du titre de vicaire de l'empire et de protecteur des libertés germaniques, le roi, au cours d'une imposante promenade militaire sur les bords du Rhin, que sa chancellerie avait préparée autant que ses généraux, réunit à sa couronne les trois évêchés de langue française Metz, Toul et Verdun, puis retourna dans son royaume.
Ce n'était pas tout. Son action se fit, de loin, cruellement sentir à l'empereur. Celui- ci se trouvait à Innsbruck lorsqu'il apprit que Maurice de Saxe, le plus puissant de ses vassaux, s'était brusquement décidé à franchir les défilés du Tyrol pour s'emparer de la résidence impériale. Il fallut fuir la nuit, dans la pluie et le vent, tout perclus, laissant tout son bagage, lui le grand Charles Quint.
Les subsides d'Henri aux princes d'Allemagne n'étaient pas absents de cette cruelle aventure. L'empereur le savait bien. Il accepta des rebelles, par l'intermédiaire de son frère, le traité de Passau (2 août 1552), reconnaissant les libertés germaniques et le culte protestant, et les regroupa autour de lui pour aller tirer vengeance du roi. Prompt à redresser sa situation, il investit Metz avec une puissante armée.
Cette défense fut la gloire du duc de Guise appuyé sur les courageux habitants et sur une noblesse volontaire, accourue de tous les coins de France. Il chargeait lui-même la hotte pour aider transporter les matériaux sur les remparts. Il fut la tête et le bras de cette épopée.
L'empereur, tordu de goutte, se faisait porter dans la tranchée. Vint l'hiver. Après deux mois de misère et de combats acharnés, il dut lever le siège. Guise fit secourir et renvoyer les nombreux blessés.
L'hiver à peine fini, l'empereur, exaspéré, lance de nouvelles troupes et, cette fois, Thérouanne, après la mort de son défenseur, André de Montalembert, est prise et entièrement détruite.
En Italie. Montluc offrait à Sienne la même résistance que François de Guise à Metz. Moins heureux toutefois jusqu'au bout, il dut se retirer et quitter la ville, après avoir fait reconnaître les anciennes libertés et ses troupes défilèrent, enseignes déployées.
De concert avec la flotte ottomane, la flotte française opéra un débarquement en Corse. Les habitants avaient invoqué le secours du roi de France contre les Génois.
Tous les rivaux étaient las des hostilités. Charles Quint mariait son fils à Marie Tudor, qui venait de monter sur le trôné d'Angleterre.
Les pourparlers aboutissaient à la trêve de Vaucelles en 1555. La France gardait les trois évêchés de Metz, Toul et Verdun, le Piémont, le Montferrat, les places de Toscane, de Parmesan, la Corse. Le monde apprenait en même temps l'abdication de l'empereur Charles Quint.
Ce n'est pas un mince triomphe pour Henri II que d'avoir tenu tête au dernier effort impérial pour la défense de l'équilibre européen.

Défaite de Saint-Quentin

L'épreuve qu'il allait affronter ensuite devait l'amener à modifier la politique française pour servir, devant d'autres circonstances, le même principe.
En 1555 fut élu le cardinal Carafa, sous le nom de Paul IV. Il avait quatre-vingts ans et, depuis l'âge de cinquante ans, s'était enfermé dans la rigueur de la vie monastique. Brusquement il revint au siècle, persuadé que le Saint-Siège devait affirmer sa présence dans les affaires de l'Europe.
On proclama qu'il voulait délivrer l'Italie du joug de l'étranger, c'est-à-dire alors l'Espagne. Le duc d'Albe venait de s'emparer d'Anagni, ville pontificale et bientôt de Tivoli et d'Ostie. Le pape envoya son neveu presser la cour de France d'intervenir.
Au conseil d'Henri II s'opposaient Montmorency et les Guise. Montmorency qui devait, à près de quatre-vingts ans, périr sur le champ de bataille, s'affirma toujours, comme ministre, un partisan de la paix. Les Guise, le duc et le cardinal, poussaient à la guerre.
Le roi différait sa réponse. Enfin, sur les instances du pape, il prit la résolution de défendre le patrimoine pontifical. Guise partit pour l'Italie à la tête d'une quinzaine de mille hommes. Sa faiblesse numérique, son manque d'argent ne lui permirent pas de remporter de grands succès et il fut bientôt rappelé par les événements du Nord.
Le pape traita. Le due d'Albe fit amende honorable pour avoir porté les armes contre lui, et Paul IV l'assura de sa neutralité dans les conflits qui s'étendaient.
La trêve de Vaucelles était rompue et Philippe II, après l'abdication de Charles Quint, s'était décidé à prononcer au Nord une offensive d'envergure. Une armée de cinquante mille hommes, rassemblée au Pays-Bas, envahit la France, investit Saint Quentin. Elle était placée sous le commandement de Philibert, duc de Savoie, dont François 1er avait confisqué les .Etats, lorsque ce prince s'était rallié à l'empereur.
Un côté de la place restait ouvert sur les marais de la Somme. Montmorency, à la tête des troupes royales, se proposa, par ce qu'il appelait " un tour de vieille guerre " d'y introduire des renforts, en protégeant la manoeuvre avec le gros de l'armée. Ce plan, d'une réalisation difficile et mal exécuté, échoua complètement et aboutit à un désastre.
Entourée de quarante mille hommes et d'une puissante artillerie, l'armée du connétable fut hachée. Les pertes furent considérables et lui-même, sérieusement blessé, tomba aux mains de l'ennemi.
C'est alors que Henri II, refusant de se replier derrière la Loire, avait, sans s'abandonner, constitué en hâte une armée de secours et rappelé Guise d'Italie.
Son attitude évita la panique qui menaçait Paris. Du fond de son monastère de San-Juste, l'empereur se montra très irrité d'apprendre que son fils n'avait pas ordonné tout de suite la marche sur Paris. Mais Philippe II craignait une levée en masse des Français. Il poursuivit le siège de Saint Quentin et des places qui tenaient encore.
Quant à Henri II, il montra son ressort de caractère et la réplique stratégique dont il était capable.
La reine d'Angleterre avait joint sa déclaration de guerre à celle de son mari. C'est du côté des Anglais que Henri, ayant réuni son conseil, résolut d'opérer la diversion fameuse.
Lucien Romier, dans son étude attentive du règne, a lumineusement montré que c'est Henri II lui-même qui a conçu et voulu la délivrance de Calais. Guise et Marie Stuart, élevée à la Cour de France, avec l'héritier du trône. Ce mariage ouvrait une perspective extraordinaire, si l'on songe que Marie Stuart se trouvait la plus proche héritière du trône anglais et qu'en effet, le fils qu'elle eut d'une seconde union y monta.
En tout cas, l'union de la France et de l'Ecosse toujours alliées paraissait raisonnable. Elle effrayait pourtant certains conseillers du roi qui leur dit :
- Je veux que ce mariage se fasse et qu'on ne me casse plus la tête avec des propositions d'autres partis
On vit encore des batailles, des sièges, des succès balancés.
De gros rassemblements de troupes se formaient autour de chacun des souverains rivaux. On annonçait une bataille décisive. C'était le masque derrière lequel agissaient pour la paix les envoyés de Paul IV.

Traité de Cateau-Cambrésis

Tout le monde était las. Des conférences s'ouvrirent à Cercamp.
Montmorency, toujours prisonnier, fut désigné comme plénipotentiaire avec le cardinal de Lorraine et le maréchal de Saint-André. Et, près d'eux, sans occuper le devant de la scène, mais jouissant d'une influence considérable, Jean, fils d'Antoine Hébrard de Saint-Sulpice et de Marguerite de Lévis-Caylus, d'une lignée de féodaux lettrés du Quercy, docteur en droit civil et en droit Canon, en même temps qu'homme de guerre et ambassadeur.
Il fut le confident des pensées du roi auprès du connétable pour préparer le grand revirement de la politique étrangère de la France l'abandon de l'Italie, le maintien des acquisitions du Nord.
Tel fut le résultat consacré par la paix de Cateau-Cambrésis. Charles Quint venait de mourir à San-Juste. Marie Tudor le suivait de près, dénouant le lien fragile qui unissait les couronnes d'Espagne et d'Angleterre.
Philippe II s'acharna sur ses intérêts italiens et fit peu pour les intérêts de l'Angleterre à qui l'abandon de Calais fut extrêmement cruel Elisabeth, qui avait succédé à sa soeur, chercha et obtint une clause d'amour-propre. La France, au bout de huit ans, devait payer cinq cent mille écus d'or pour garder la ville, à moins que d'ici là une attaque anglaise ne fût amorcée sur la France ou sur l'Ecosse. C'est d'ailleurs ce qui arriva.
La France consolidait son pré carré. Elle était débarrassée de la menace perpétuelle d'un débarquement anglais. En conservant les trois évêchés Metz, Toul et Verdun, elle transformait, en garantie de ses frontières, des places qui, appartenant à des mains étrangères, les avaient jusqu'ici menacées.
Mais, pour consolider le pré carré, il avait fallu accepter des sacrifices de frontières avancées l'abandon du Piémont où Brissac s'était solidement établi, de la Corse qui avait héroïquement soutenu la cause française.
Trois mariages allaient cimenter cette réconciliation Elisabeth, fille de Henri II, épousait Philippe II. Claude de France épousait le duc de Lorraine, et Marguerite, soeur de Henri II, le duc de Savoie.
Le traité de Cateau-Cambrésis a donné lieu à de vives controverses, à commencer par les contemporains qui s'en plaignirent beaucoup.
Si on veut le considérer sainement, on ne saurait l'interpréter comme un désavœu de la politique des trois règnes précédents, de la première partie de celui de Henri II lui-même. Les événements historiques ne se situent pas dans l'abstrait. Ils se situent dans le contexte du temps. Ce qui est bon pour une époque peut ne plus l'être pour une autre;
Une France absente de l'Italie dans la première moitié du XV siècle perdait son rang en Europe et compromettait la sécurité de son propre territoire. Après la bataille de Saint-Quentin, la prise de Calais et la division de la maison d Autriche en deux branches, les intérêts généraux de l'Europe se déplaçaient, d'une part vers les Pays-Bas et vers le Rhin, d'autre part vers les Pyrénées.
A une phase d'extension nécessaire, devait succéder une phase de concentration. Il ne falit pas se laisser tourner.

Henri II et la Réforme

Enfin, il y avait à la décision de Henri II de puissants motifs d'ordre intérieur.
L'unité de conviction et la situation économique étaient gravement menacées.
Les deux années de campagne sur plusieurs champs d'opération avaient fortement ébréché le magnifique trésor laissé par François 1er, le seul prince fastueux de l'Histoire qui, sans recourir à des mesures exceptionnelles, ait su régler sa dépense au-dessous de ses revenus. Il fallait réduire les dépenses militaires, réparer les maux de la guerre.
Quant à la question religieuse, elle s'affirmait de plus en plus préoccupante. La tension s'aggravait chaque jour. Seule l'empêchait d'éclater la ferme autorité de Henri II.
Sans doute n'avait-il pas l'esprit de tolérance dont François 1er et Marguerite de Navarre donnèrent tant de preuves, cependant il n'allait pas jusqu'au fanatisme. Après le massacre des populations vaudoises de Mérindol et de Cabrières, extorqué à François 1er, il poursuivit le procès commencé et l'exécution de l'avocat général Guérin.
L'intolérance gagnait les deux camps. " Le droit du roi de réprimer, écrit Louis Madelin, n'était contesté par personne, mais catholiques et protestants en demandaient l'exercice les uns contre les autres. "
La haine montait dans l'esprit. La haine qui n'est pas l'opposé, mais l'envers de l'amour.
La Réforme était née d'une crise de conscience profondément sincère qui avait eu deux causes bien différentes l'avènement du libre examen, fruit de la Renaissance, et le relâchement du clergé.
La papauté l'avait compris et avec l'appui des plus hautes autorités spirituelles et temporelles, elle ouvrît le concile de Trente pour que la Réforme eût lieu à l'intérieur de l'Eglise. Le concile accomplit un grand redressement du clergé catholique, mais ne parvint pas à contenir dans ses limites tout l'élan de la Réforme. La chrétienté éclatait.
Henri II, profondément bouleversé de ce drame, tenta de le conjurer. Allié aux protestants d'Allemagne - et en cela il témoignait de cette séparation du politique et du spirituel, ouvrage de la Renaissance - il résolut d'arrêter par la force l'immense progrès des protestants en France. Progrès dans les campagnes favorables à un retour du particularisme et de l'esprit féodal, progrès dans la bourgeoisie des villes favorable à l'indépendance municipale, Paris excepté, qui trouva son affirmation dans une rigueur anticonformiste. Le mouvement montait jusqu'au princes du sang par Antoine de Bourbon, Jeanne d'Albret, Condé. Plus d'un quart des français s'étaient, à la fin du règne de Henri II, détachés de l'obédience de Rome.
G'est alors que se produisit cette séance dramatique du Parlement, où le roi voulut stimuler son zèle contre l'hérésie. Loin de recueillir l'unanimité, il vit se dresser devant lui Anne du Bourg, au nom de la Réforme, et le fit arrêter sur-le-champ. Au début du règne suivant et de l'ère sanglante, l'intrépide magistrat devait être condamné au bûcher.

une France nouvelle

Face à cette affirmation de conscience, il y avait celle du roi qui voyait venir la guerre civile. Il ne semble pas qu'il ait souhaité autre chose que de donner un coup d'arrêt prématuré. Sa mort prématurée laissera toujours ignoré s'il eût été assez fort pour retenir les désastres qui se préparaient.
On sait qu'il avait gardé de l'ancien temps la passion des tournois. Montmorency l'avait arrêté dans son goût du risque personnel en bataille, en lui disant :
- Si vous continuez, sire, il faudra fabriquer des rois de rechange.
La lance de Montmorency se brisa dans la visière du casque royal. Le roi défendit qu'on inquiétât son malheureux adversaire. Mais Catherine, feignant de s'incliner, ne pardonna pas (1).
Après cent ans de troubles, la France de Charles VII avait réglé sa marche triomphante jusqu'à la mort de Henri II. Considérons ce qu'elle était devenue avant de traverser des tragédies nouvelles.
Une différence fondamentale entre la société du Moyen Age et celle de la Renaissance va s'affirmer. Les droits politiques confondus par la société médiévale avec le droit privé, inhérent à la seigneurie d'une terre, vont, par étapes, retourner dans le droit public. Les prérogatives locales commencèrent de céder, depuis la fin de la guerre de Cent Ans, non sans conserver des positions de repli, à la prééminence du pouvoir central.
On avait vu la sécurité rendue, le paysan retourner à la terre et poursuivre son ascension sociale, tantôt atteignant la bourgeoisie qui montait elle-même et tantôt, par la chevalerie, atteignant la noblesse.
Il y avait trois catégories d'agriculteurs l'ouvrier agricole, errant l'aventure, plus haut le fermier ou métayer. Enfin le tenancier, véritable propriétaire foncier, qui avait le droit de vente, le détenteur de fief n'ayant que le droit de se porter acquéreur par priorité.
Souvent les familles nobles appauvries " dérogeaient " volontairement pour entrer dans le commerce et retrouver quelque bien. C'était, en effet, un privilège d'importance, strictement refusé à la noblesse, que de pratiquer le moindre commerce et la moindre industrie jusqu'à n'avoir pas le droit d'engraisser des boeufs pour les revendre.
La moyenne et la petite noblesse avaient conservé une part des pouvoirs judiciaires, mais elles vivaient très près de la paysannerie, entretenant avec elle des rapports qui se traduisaient plus souvent par de grosses farces que par des actes d'hostilité.
Dans les villes se produisait un mouvement contraire. Alors que, dans les ateliers des XIIIe et XIVe siècles, les maîtres, compagnons et apprentis, peu nombreux par atelier, travaillaient ensemble, la transition du XVe et du XVIe siècle vit s'édifier des fortunes considérables, éloignant le maître des compagnons qui furent amenés, pour défendre leurs intérêts divergents, à constituer des associations séparées.
Le rôle politique de la haute noblesse et de l'épiscopat reste important. L'épiscopat sort rarement du clergé rural pauvre et peu instruit, il vient soit des hautes maisons féodales, soit des monastères. Le Grand Schisme a vu jusqu'à trois papes rivaux, mais chacun ne disputait à l'autre que la même obédience. La papauté se resserra sur elle-même, ayant à affronter la Réforme.
Après le gothique dans le XVe siècle se dresseront le dôme et la colonnade, chefs-d'oeuvre d'équilibre et de calcul, plus près des secrets de la nature et plus loin des secrets du ciel.
La science pure, au cours du XVe siècle, a fait des progrès extraordinaires sous l'influence de l'alchimie qui a continué de s'exercer au XVIe, obtenant, par une singulière transmission du rêve au réel, de fructueuses découvertes. La recherche de la transmutation a été la première tentative de la désintégration de l'atome.
La vie militaire offre un grand changement sur le Moyen Age. Sans doute l'armée existait-elle déjà sous Charles VII, a beaucoup augmenté en nombre, en organisation.
Avant que les guerres de religion les précipitassent dans un nouveau désordre, ceux qui furent des routiers, des pillards dispersés sont devenus des soldats. Brantôme nous a donné une description picaresque d'un corps du duc d'Albe traversant la France et dont ne différait guère ceux de Henri II " La fameuse armée des neuf mille vétérans étaient accompagnée de quatre cents courtisanes à cheval, belles et braves comme princesses, et huit cents à pied, bien en point aussi. "
Leur rôle n'était pas seulement de plaisir. Elles pansaient les blessés et s'occupaient des repas.
Si l'ascension individuelle dans le clergé monastique avait été un des traits du Moyen Age, elle fut l'une des caractéristiques des armées du XVIe siècle.
" J'en ai vu parvenir, écrit Montluc, qui ont porté la pique à six francs de paye, faire des actes si belliqueux et se sont trouvés si capables que, fils de pauvres laboureurs, ils se sont avancés plus avant que beaucoup de nobles pour leur hardiesse et leur vertu.

Continuité royale

La France de Henri II se montra-t-elle plus raffinée que la France du Moyen Age? Oui et non. Le goût des arts, hérité du mécénat de Charles V et des ducs de Bourgogne, le développement de la vie de Cour, la recherche vestimentaire entre des murs plus ajourés, dans un cadre plus orné, oui!
Mais, sous ces aspects dorés, que de brutalité, que de grossièreté même. Les soins corporels disparaissent presque. Tel se vante que son corps n'a jamais connu l'eau. Et l'on verra bientôt Henri III se plaindre de la saleté et de la mauvaise odeur des gentils-hommes qui se rendent à sa Cour.
Les duels font rage et parfois le roi les préside. Ils ont perdu cette courtoisie dont se flattait le Moyen Age et tournent parfois en des espèces d'assassinats !
La condition des femmes a changé. Au Moyen Age elles étaient surveillées, mais protégées. La Renaissance leur ouvre une liberté dangereuse pour leur existence même.
Mais elles jouent du poignard comme des hommes. François 1er et Henri II leur offrirent à la Cour une protection royale. La vie a beau y être très libre, quiconque en parle mal risque la hache ou la corde.
Des parfums violents, des odeurs moins agréables se mêlent au son d'une musique très délicate, dont les sens affinés des auditeurs perçoivent des nuances qui ne se saisissent peut-être plus aujourd'hui. Leur ouïe est plus perspicace que leur odorat. A la lumière vacillante des bougies s'échangent des regards perfides.
Un frémissement, une inquiétude se répandent de la Cour à la ville, de la ville aux manoirs, des manoirs aux hameaux. Deux rumeurs montent de chaque côté de la croix.
Dans le tumulte sanglant qui va sévir et semblera, un moment, avoir tout enfoui sous ses décombres, une force restera, une force qui sauvera tout. Cette force c'est l'esprit de continuité familiale des Français.
En dépit des ruptures que les passions religieuses pourront produire dans les foyers, jusqu'aux querelles fratricides, et jusque sur le trône, c'est dans l'esprit de famille, à la ville comme au champ, quand la paix sera revenue, que chacun cherchera, chacun retrouvera le fil de sa propre continuité autour de la continuité royale.

Duc de Lévis Mirepoix


(1) Voir Historia N°151, Henri II tué dans un tournoi, par André Castelot ; N° 97 Catherine de Médicis, par Henri Robert ; N° 149. Diane de Poitiers, par B. de Sariac; N° 169 Les plaisirs à la Cour des Valois. par R. Burnand.



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