II Sens du mot

Les dictionnaires bilingues de R. Estienne et de R. Cotgrave donnent les divers termes utilisés pour désigner les sorciers et sorcières en latin et en anglais : ils sont désignés par charmeur(euse), enchanteur(teresse)...

Dans le dictionnaire Universel d'A. Furetière de 1690, “ qui a communication avec le Diable...son secours ”, ce trait est imaginaire, il tient aujourd'hui de la superstition mais à l'époque cette définition était considérée comme vraie.

Seule, la suite n'est pas véritablement affirmée : “  On tient que... ” mais c'est ce qu'on rapporte, des ragots... ce qui est affirmé ici n'est pas une définition mais concerne ce que l'on entend... “ Une marque qui rend la partie insensible ” ; jusqu'à la fin du XVIème siècle, les sorciers et sorcières étaient considérés comme des devins et guérisseurs, ils étaient donc indispensables dans les villages où les ruraux qui étaient superstitieux (car ils ne connaissaient rien du corps humain ni de la nature) considéraient les maladies, la famine, les tempêtes, la mort comme des phénomènes surnaturels ainsi les devins étaient utiles pour protéger les villageois... mais, à partir du XVIème siècle, les magistrats du Parlement de Paris et l'Eglise, afin d'éliminer ces croyances pour développer le pouvoir central, associèrent la sorcière au démon et au mal mettant ainsi en place une théorie démonologique et lançant alors une véritable chasse aux sorcières. Pour rechercher les sorcières, il existait plusieurs épreuves telles que l'épreuve de l'eau ou celle effectuée par le “ Piqueur ” qui était chargé de trouver la marque du diable : La sorcière avait soi-disant pactisé avec le diable et la signature de ce pacte n'était rien d'autre qu'une marque particulière sur la peau de la sorcière. Cette marque devait être insensible à la douleur, ainsi le piqueur bandait les yeux de la sorcière puis il la piquait avec des aiguilles sur tout le corps, “ même dans la bouche et aux parties honteuses ” ; dès lors que le piqueur avait trouvé un endroit insensible à la douleur, il fallait faire avouer à la sorcière sa participation au Sabbat, la copulation satanique etc. ; et pour cela, les inquisiteurs avaient recours à la question ordinaire puis extraordinaire qui étaient des séances de torture sous laquelle la sorcière avouait tout ce que l'on voulait entendre ... c'est pourquoi on “  a une marque qui rend la partie insensible ”. L'épreuve de l'eau consistait à mettre une “ sorcière ” pieds et mains liées dans une grande quantité d'eau, si elle coulait, ça n'était pas une sorcière, si elle flottait,elle en était une car les sorcières savaient défier toutes les lois y compris celles de la nature.

“ Ceux qui ont écrit de Démonomanie ... ” : plusieurs se sont intéressés à la théorie démonologique et aux choses extraordinaires soi-disant effectuées par les sorcières. Ici ce trait est historique et culturel.

“  On excommunie au prône... ” ici, on a un trait religieux : L'Eglise rejetait les devins et devineresses, les sorciers et sorcières et tous ceux qui avaient recours à des pratiques superstitieuses...

“  Les Anciens ... semblables ”, là encore cette phrase assimile des devins aux sorciers ; de plus “ Les Anciens ”, ce mot vient ici montrer que le fait d'associer les devins au démon est incontestable car justement affirmé par “ Les Anciens ”, ce mot a une connotation imparable, on ne peut pas affirmer le contraire puisque ce sont “ Les Anciens ” qui ont dit cela ... C'est un trait culturel.

SORCIER, se dit proverbialement, ici on a un trait culturel, ce qui se dit dans la langue, c'est une expression lexicalisée : “ Sorcier comme une vache ” pour signifier qu'on ne fait là rien de miraculeux...

Il y a par contre une seconde phase : “ on dit par injure à une laide qui est agée, que c'est une vieille sorcière ”, là cette phrase n'est pas juste un proverbe ni une expression, cette phrase a eu des répercussions importantes dans les villages lors des chasses aux sorcières ; en effet, la Royauté voulait étendre son pouvoir dans tout le Royaume c'est pourquoi la chasse aux sorcières avait lieu à la périphérie du Royaume et dans les campagnes où il fallait absolument faire comprendre aux populations qui dirigeait le pays. Devant les résistances rencontrées, les administrateurs envoyés par le Roi voyaient en la sorcière le prototype mythique du rebelle absolu : la sorcière était en fait un bouc émissaire ; les administrateurs fabriquaient des coupables d'après le stéréotype de la vieille sorcière : en général, les sorcières étaient des femmes âgées, veuves c'est à dire sans contrôle patriarcal ; elles étaient également socialement isolées car elles n'avaient plus d'enfant, elles étaient dépositaires privilégiés des croyances populaires car elles appartenaient aux générations superstitieuses, elles transmettaient les connaissances et les recettes anciennes lors des veillées villageoises aux plus jeunes ... Ainsi, en s'attaquant directement à elles, les administrateurs voulaient éliminer les anciennes croyances pour mieux établir le pouvoir royal et pour développer le christianisme ; de plus, au niveau de l 'Eglise, les femmes représentaient les filles d'Eve, la première femme qui a commis le péché originel ainsi les femmes étaient considérées comme inférieures, comme des bêtes sans âme à cause desquelles la mort était entrée au monde.

On voit donc le poids que cette phrase a eu à l'époque ... Ca n'est pas simplement un proverbe car les “ laides agées ” ne se sont pas simplement fait traiter de “ vieille sorcière ” mais ont bel et bien souffert durant la répression...

Dans le dictionnaire de L'Académie Française de 1694, il n'y a pas d'entrée “ SORCIER, ERE ” mais c'est une sous entrée de l'entrée principale “ SORT ”.

Sorcier : “ Celuy qui, selon l'opinion commune ... ”, on a un trait culturel et social, “ l'opinion commune ”, est un fait de société.

On a ensuite le même trait superstitieux, imaginaire : “ pacte avec le Diable, pour faire des maléfices & qui va à ces assemblées nocturnes qu'on nomme le Sabat ”.

La différence avec le Furetière, c'est que ici on a pas “ on tient que ” mais on a “ selon l'opinion comme, celuy qui ... ” C'est donc là une accusation plus stricte, ça n'est plus un ragot : “ on tient que ” mais une affirmation confirmée par l'opinion commune.

“ Le Sabat ” ou “ Sabbat ” consistait en une assemblée nocturne à laquelle se rendait la sorcière et où elle se livrait à la copulation satanique, elle y utilisait des poudres et des onguents maléfiques. La sorcière était aussi censée avoir des relations avec son diable familier dans la vie quotidienne ; en fait toutes ces pratiques sont issues de la théorie démonologique développée par le Parlement de Paris au XVI - XVIIème S.

“ on accuse un tel d'estre sorcier ... on brusle les sorciers ”, cet exemple résume tout à fait l'ouverture d'un procès ; en effet celui-ci était dû à une rumeur, une accusation de la part d'un ennemi ; une information voyait alors défiler des témoins puis on interrogeait le suspect, on lui faisait subir l'épreuve du piqueur ou de l'eau, puis on “ l'aidait  ” à avouer sous la torture et enfin on l'exécutait en le brûlant publiquement.

“ On dit prov qu'Un homme n'est pas grand sorcier pour dire qu'il est pas fort habile, il ne faut pas estre grand sorcier pour faire, pour deviner telle chose ” ; ici, on a un trait culturel, une expression lexicalisée mais peut-être que le fait de dire “ qu'il ne faut pas être grand sorcier pour deviner telle chose “ est dû à l'assimilation faite entre les devins et les sorciers à partir du XVIème siècle.

Dans le dictionnaire de L'Académie Française de 1718, on a le même trait imaginaire et superstitieux que dans le dictionnaire de L'Académie Française de 1694 : “ pacte exprés avec le Diable ... va à des assemblées nocturnes ... ” . Les phrases suivantes servent d'exemple : “ On accuse un tel d'être sorcier ... Il y a des pays où l'on brusle encore les sorciers ”, en 1718, les sorciers et sorcières étaient encore brûlés à certains endroits, l'actant est “ on ” car l'Académie Française ne veut pas citer le Parlement de Paris qui est responsable de ces condamnations.

On a ensuite : “ on dit Figur. d'un homme vieux & méchant ... une vieille sorcière ”, comme dans le Furetière, cette phrase est ici utilisée figurément “ alors qu'elle a connu un impact considérable dans la vie de ces veilles femmes et de ces hommes vieux. On a donc ici un trait culturel, ce qui se dit figurément puis ce qui se dit proverbialement puisqu'on a encore : “ on dit prov qu'Un homme ... fort habile et on dit dans le mesme sens, il ne faut pas ... telle chose ”. Là encore trait culturel comme dans le dictionnaire de L'Académie Française de 1694 et expression lexicalisée : “ estre grand sorcier ”.

Dans le dictionnaire de Trévoux de 1721, là encore même trait imaginaire et superstitieux : “ Magicien ... selon l'opinion commune par son secours ” et aussi trait social et culturel : “ opinion commune ”. On a ensuite, puisque le Trévoux est un dictionnaire Français-latin, l'équivalence latine : Veneficus, magus ; magus signifiant magicien n'était pas dans le dictionnaire de R. Estienne en 1549.

On a ensuite, comme dans le Furetière, le trait là aussi culturel, qui tient au ragot car on a “ on tient que ”, ça n'est donc plus une définition mais ce qui se dit...

Le contenu du Trévoux de 1721 est le même que le Furetière : “ une partie insensible ... on excommunie au prône ” puis on a un paragraphe supplémentaire : “ Le peuple, qui souvent juge de travers, a accusé plusieurs grands hommes d'être sorciers ”. Naudé.

On a vu que le Parlement de Paris a envoyé des administrateurs dans les campagnes pour mettre fin aux pratiques superstitieuses des villageois et également pour chasser les détentrices de ces pratiques à savoir les vieilles femmes... pour cela, ces administrateurs ont terrifié les paysans qui se sont mis à dénoncer les sorcières (de peur d'être accusés à leur tour de sorcellerie) et à participer à ces chasses aux sorcières à tel point que l'effet inverse que celui désiré par le pouvoir central se produisit : La Royauté voulait instaurer son autorité dans les campagnes mais peu à peu les paysans firent justice eux-mêmes, se vengeant de leurs malheurs sur un bouc émissaire... Ainsi, le Parlement, voyant le pouvoir et la justice lui échapper au profit du pouvoir villageois, décida de mettre fin à la chasse aux sorcières et de poursuivre ces justiciers improvisés qui tuaient et chassaient des soi-disant sorciers et sorcières... pour cela le GRAND CONSEIL de MALINES, dans une lettre du 30 avril 1596 au conseil privé siégeant à Bruxelles, dénonça de tels abus et conseilla aux juges subalternes de prouver la culpabilité des accusés. Ainsi, l'Etat Absolutiste ne pouvant admettre l'existence d'une autre justice que la sienne, freina la chasse aux sorcières : “ Dieu et Satan cessent d'intervenir quotidiennement dans le cours naturel des choses et dans la vie ordinaire des hommes ”. C'est pourquoi on a ici cette phrase : “ Le peuple ... d'être sorciers ” qui concerne le peuple ayant fait justice lui-même sans prouver la culpabilité des accusés....

“ Le Parlement de Paris ne reconnoit point de sorciers ”, c'est un trait politique, institutionnel et social, cette phrase signifie que le Parlement de Paris ne participe pas aux condamnations ni aux exécutions publiques, or ceci est évidemment faux puisque c'est le parlement qui a envoyé des inquisiteurs dans les villages pour éliminer les croyances populaires, les superstitions et les prétendues sorcières.

“ Le Parlement de Roüen les...;on ne le fait plus ”, là encore, c'est un trait politique, cette phrase insiste sur la non responsabilité du Parlement de Paris concernant tous ces meurtres de vieilles femmes et de vieils hommes et par contre, cette responsabilité est rejetée sur le Parlement de Roüen.

Selon certaines données tirées aux Archives Départementales du Nord notamment à Lille et également à la Bibliothèque Municipale de Lille par Robert Muchembled pour son livre intitulé : “ La Sorcière au Village XV-XVIIIè S. ”, il est impossible d'estimer exactement le nombre des persécutions pour le territoire français car certains procès ont été parfois brûlés avec les sorcières, les bûchers ont cependant été moins nombreux qu'on ne l'a cru : moins de 150 pour le Nord, moins d'un millier pour l'ensemble du Jura-Suisse et français entre 1537 et 1683.

“ On ne doit punir ceux qu'on a accusé d'être ... dûëment convaincus de méléfice, ... qu'ils l'ayent fait ”, là aussi c'est un trait culturel et social reprenant l'idée contenue dans la phrase : “ Le peuple qui souvent juge de travers ... sorciers ” car il faut prouver la culpabilité des accusés avant de prononcer la sentence et de procéder à l'exécution...

“ Les Anciens ... semblables ”, là encore comme dans le Furetière de 1690, on a ce trait imparable concernant l'irréfutabilité de cette phrase. De plus, on a ici des références à Virgile et Homère puisqu'on a des “ sorts Homériques et Virgilians ”. De même, on a un renvoi aux capitulaires. Ceux sont donc des traits historiques et culturels.

“ Sorcier, se dit aussi de ceux qui gagnent le coeur des autres par quelques charmes, ... leur personne ”. Incantator, praestigiator. Cette phrase concerne cette fois le caractère et le charisme, c'est un trait caractériel et charismatique.

En fait, ici on explique certains traits particuliers qu'ont certains individus par le terme “ sorcier ” ; comme c'est écrit plus haut,avant de lancer la chasse aux sorcières et de développer la théorie démonologique, la sorcellerie était plutôt considérée comme de la magie sans rapport avec le diable, ici on explique quelques exceptions par de la magie, et donc par de la sorcellerie, d'ailleurs le mot latin “ praestigiator ” signifie “ magicien ” (prestidigitateur).

“ Cette beauté a tant d'attraits que c'est une aimable sorcière ”, là encore c'est une sorcière car elle est d'une beauté exceptionnelle, que l'on ne rencontre pas souvent et qui tient donc de la magie.

Ici, le terme “ sorcier, sorcière ” est donc lié non plus à la démonologie mais à la magie, au fait d'être exceptionnel ... de même dans la suite de l'article : “ cet homme est si adroit ... il faut qu'il soit sorcier ”, là ça n'est pas la beauté qui tient lieu de la magie mais l'habileté de cet homme ; en fait son habileté est si exceptionnelle qu'elle paraît surnaturelle et donc magique en ce sens “ qu'il faut qu'il soit sorcier ” car l'ordinaire des hommes ne saurait être aussi habile.

De même,on a un trait historique et étymologique avec la référence à Circé qui, dans l'antiquité avait transformé les compagnons d'Ulysse en pourceaux.

“ SORCIER, IERE est aussi adjectif tant dans le propre que dans le figuré... ” là, on a un trait culturel au sens où “ sorcier ” est utilisé comme adjectif aussi bien au sens propre qu'au sens figuré ; le sens figuré est celui qu'on a dans le dictionnaire de l'Académie Française avec : “ on dit Figur d'un homme vieux & méchant, & d'une vieille & méchante femme que c'est un vieux sorcier, une vieille sorcière ”. le sens propre concerne le fait d'être un véritable sorcier c'est à dire de porter la marque du diable, de participer au sabbat ... et d'avouer sous la torture... “ Il y a plus de femmes sorcières, que d'hommes sorciers ” Thiers. En effet on emploi plus souvent le terme de sorcière que celui de sorcier mais il est impossible de connaître le nombre exacte des persécutions car certains procès ont été brûlés avec les sorcières mais on sait que les persécutions visaient surtout les femmes : 7 à 9 sur 10 accusés (toujours selon l'étude faite par R. Muchembled).

Puis on a de nouveau le proverbe : “ sorcier comme une vache ” comme dans le dictionnaire de Furetière 1690, on a aussi la traduction latine : Nihil spectandum efficit : il ne fait rien d'extraordinaire.

On a également : “ on dit à ceux qui se vantent ... qu'il ne faut pas être grand sorcier pour cela ”, comme dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1718 et celui de 1694 ainsi que dans le Furetière 1690. C'est un trait culturel et aussi une expression lexicalisée encore utilisée de nos jours : “ il ne faut pas être sorcier... ”. Enfin on a : “ on dit aussi ... c'est une vieille sorcière ”, on a là encore la même phrase que dans le Furetière et que dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1718 qui est utilisée figurément mais qui a pourtant eu des impacts désastreux dans la société du début du XVII siècle ... On a donc là encore un trait culturel et social.

Dans le dictionnaire de Richelet de 1730, on n'a pas selon “ l'opinion commune ” ni “ on tient que ” on a directement : “ Celui qui va au sabat ... se sert d'enchantement ... de magie pour faire quelque chose ”. On a encore le même trait imaginaire et superstitieux puis le même contenu que dans le dictionnaire de Trévoux : “ [Le Parlement de Paris ne reconnoit pas de sorciers. Le peuple qui souvent juge de travers ... d'être sorciers] ”. On a le même trait politique et culturel. De plus tout ce paragraphe est entre crochets afin de montrer que c'est ici tout ce qui se dit à propos des sorciers mais ça n'est pas le dictionnaire qui le dit ... “ [Il y a des lieux où l'on brûle les sorciers & sorcières] ” : là encore trait politique, on brûlait les sorcières mais on ne précise pas à quel endroit ; c'est un fait qu'il y ait eu des sorcières condamnées au bûcher mais quelque part ... on ignore où.

“ [c'est un indigne sorcier. L'Eglise reconnoit ... tous les dimanches...] ”, comme dans les dictionnaires ci-dessus, on a un trait religieux car les personnes soupçonnées d'être des sorciers et sorcières étaient refusées dans les Eglises... et “ l'Eglise reconnoit des sorciers & sorcières ” signifie également que c'est “ l'Eglise ” autrement dit l'autorité religieuse qui reconnaît l'existence de ces sorciers et sorcières...

Cela montre que même l'Eglise est superstitieuse...

A la sous-entrée “ sorcière ”, on a le même trait imaginaire et superstitieux : “ pacte avec le Diable, se transforme & va au Sabat... ” puis entre crochets : [“ sorcière condamnée à être brûlées] ”. On a donc ici le destin des sorcières qui étaient brûlées dès qu'elles étaient accusées de sorcellerie...

Enfin, on a le sens adjectival de “ sorcier, sorcière ” qui signifie “ qui enchante ” et non pas ici qui “ produit le mal ” de même on a une poésie de Voiture.

Dans le supplément de 1752 du dictionnaire de Trévoux, on a un trait culturel, historique et politique très intéressant car il s'attaque directement au pouvoir puisqu'il contredit ce qui était écrit dans le Trévoux de 1721 : “ Le Parlement de Paris ne reconnoit point de sorciers ”. On a ici “ on s'est trompé ”. L'actant est “ on ” car Trévoux ne tient pas à préciser qui s'est trompé, il s'attaque en fait indirectement au Parlement de Paris. Pour augmenter le fait que quelqu'un se soit trompé, il se réfère aux écrits de Bodin qui rapporte deux arrêts au Parlement de Paris contre deux sorciers... Ces arrêts sont d'ailleurs très précis : en 1548, la mère de Jean Harvillier a été brûlée vive près de Compiègne et en 1578 Barbe Doré est aussi condamnée au feu pour sortilège...

Il existe également d'autres arrêts et pour cela Trévoux nous renvoie au mot “ charge ” où là encore on parle d'un autre procès concernant un dénommé Bras-de-Fer dans le procès duquel il y a des choses si extraordinaires qu'elles poussent à bout l'incrédulité de ceux qui nient les sortilèges.

On a là un trait culturel et historique qui traite encore de la superstition... Il y a une phrase intéressante : “ dans le procès duquel il y a des choses si extraordinaires qu'elles poussent à bout l'incrédulité de ceux qui nient les sortilèges ”. En effet, il faut savoir que lors des procès, on entendait des accusations totalement irréelles, imaginaires concernant les rapports des sorcières avec le diable etc. ... En fait, la théorie démonologique terrifiait les populations des villages ainsi les ruraux dénonçaient leurs voisins ( de peur d'être accusé à leur tour) dès lors que ceux-ci pratiquaient un acte superstitieux, pour protéger leur demeure ou leurs récoltes, chose qui était courante avant que ne soit lancée la chasse aux sorcières.

Ainsi, dès l'ouverture d'un procès, les juges ; qui maniaient la culture écrite et parlée alors que les accusés et les témoins étaient analphabètes et parlaient un patois ; terrifiaient les comparants incapables de se défendre convenablement puisqu'ils ne parlaient pas le même langage c'est pourquoi les juges pouvaient faire dire aux accusés ce qu'ils voulaient entendre et les condamner pour des actes incroyables que ces soi-disant sorciers n'avaient pourtant pas commis...

Les procès étaient donc des machines à produire les coupables en broyant des innocents.

Par exemple, Robert Muchembled dans son livre intitulé “ La Sorcière au Village ” montre l'exemple, tiré des Archives Départementales du Nord, de Madeleine Desnas, sorcière de Rieux en Cambrésis qui affirme être innocente mais qui sait que l'on veut faire d'elle une coupable et qu'elle ne peut lutter contre ceux qui savent écrire : “ Le papier est douce et on y melt ce qu'on veult ”. Elle fut exécutée le 26 Août 1650. On voit ainsi comment lors des procès on pouvait entendre des “ choses poussant à bout l'incrédulité de ceux qui nient les sortilèges ”.

Dans le dictionnaire de Trévoux de 1771, on a le même trait imaginaire et superstitieux : “ pacte exprès avec le Diable ... Sabbat ”. Ici on a selon “ l'opinion du peuple ” qui n'est plus l'opinion commune mais là on précise que c'est celle du peuple ; le peuple joue donc un rôle ici, c'est le peuple qui décide d'accuser telle ou telle personne de sorcellerie... C'est un trait constitutionnel car le peuple intervient dans les “ décisions ”.

Là encore on a, comme dans le dictionnaire de Trévoux de 1721, la traduction latine mais en 1721, on avait seulement le masculin : Veneficus, magus or là on a le féminin : Venefica, maga et un supplément puisque Trévoux donne l'équivalence de la basse latinité : Sortiarius et Sortiaria.

Il existe encore une différence par rapport au dictionnaire de 1721 car on avait : “ On tient que les sorciérs ... ” alors que désormais en 1771 on a : “ On prétend que les sorciers... ”. Il y a donc un changement de mentalité car maintenant on est moins sûr : le verbe “ prétendre que ” est moins expressif que “ tenir que ” ainsi on se rend compte que des faits tels que le sabat, le transport sur un balai etc. ne sont que des histoires imaginaires ... et impossibles.

Le reste de l'article est identique à celui de 1721 : “ Ceux qui ont écrit ... Naudé ” et également au dictionnaire de Furetière de 1690 ; ceux sont donc des traits culturels et historiques.

Puis à partir de “ Bodin rapporte deux arrêts ... du même crime ”, c'est le même contenu que dans le supplément du dictionnaire de Trévoux de 1752 ; de même on a le renvoi au mot “ charge ”.

Ensuite, “ Il y a longtemps que...sorciers. ” ; cette fois, on a l'adverbe “ longtemps ” afin d'éloigner le plus loin possible dans le temps toutes les accusations concernant les prétendus sorciers ; de même, avant on avait “ point ”, désormais, on a “ plus ”, ce qui signifie bien que le Parlement de Paris a reconnu des sorciers mais maintenant, il ne le fait plus ; en effet, la chasse aux sorcières et la théorie démonologique se sont éteintes progressivement à partir du XVIIè- XVIIIè Siècle et le regard de la société sur les “ sorcières ” a changé.

“ Il ne les punit plus, dès qu'il n'y a point d'autres crimes mêlés à la prétendue magie ”, là encore, on voit l'évolution des mentalités car “ on ne punit plus ” signifie qu'on ne fait plus d'exécutions publiques concernant “ une prétendue magie ”, désormais, on considère que la magie n'est plus réelle, elle est “ prétendue ” et on n'emploi plus le terme “ sorcellerie ” mais “ magie ” .Le Parlement devient donc plus tolérant et moins superstitieux car il ne croit plus à la sorcellerie. On a donc ici un trait culturel, politique et social qui s'applique surtout au changement de mentalité.

“ Le Parlement de Roüen...magicien ”, là encore, on retrouve le même contenu qu'en 1721 : trait politique, culturel et historique.

“ On dit figurément et populairement...méchant ”,cette fois, apparition de l'adverbe “ populairement ” qui signifie que désormais, c'est dans le peuple que l'on dit cela ; c'est une façon de rejeter le fait de traiter les vieilles femmes de sorcières dans le peuple car on sait l'impact qu'ont eu ces accusations lors de la répression...

Le reste de la définition était déjà présent dans le dictionnaire de Trévoux de 1721.

Dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1786, on a le même trait superstitieux et imaginaire que dans les autres dictionnaires : “ celui, celle...Sabbat.”. Puis les mêmes exemples : “ On accuse...sorciers ” et la même phrase que dans le dictionnaire de Trévoux de 1771 : “ On dit figurément et populairement...sorcière ”. On a également : “ On dit proverbialement...chose ”, comme dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1718, c'est un trait culturel, une expression lexicalisée : “ être grand sorcier ”.

Dans le dictionnaire de J.F.Féraudl de 1787, il n'y a pas d'entrée principale “ sorcier, ère ” mais ce mot est une sous entrée du mot “ sorcellerie ”. C'est un dictionnaire plus moderne car il donne des indications phonétiques : “ [3è e muet au 1er et au 3è...] ”. On a d'abord un trait étymologique : “ sorcier vient de sort ”, puis la même phrase que dans les autres dictionnaires : “ C'est celui, qui suivant...Sabat ” ; cette fois, on a pas “ celle ” mais juste le masculin : “ celui ”, on parle donc de sorciers et non plus de sorcières. Ensuite, on a comme chez Trévoux en 1771 et dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1786 : “ l'opinion du peuple ” pour montrer l'intervention du peuple lors des accusations pour sorcellerie. Féraudl nous renvoie ensuite aux mots SORT et SABAT.

“ On dit bâssement...sorcière ”, cette phrase existait jusqu'alors dans les autres dictionnaires mais c'était “ figurément ” puis “ figurément et populairement ” mais désormais, c'est “ bâssement ” pour signifier que cette “ insulte ” n'est utilisée que dans la lie du peuple, c'est donc un trait social qui permet à ceux qui n'appartiennent pas à la lie du peuple de s'éloigner de ces accusations ; c'est une manière pour le “ haut ” de la société de dire qu'il n'a pas participé à la chasse aux sorcières.

“ Et proverbialement...chose ”, là encore, c'est une expression lexicalisée “ être grand sorcier ” comme dans les autres dictionnaires, c'est un trait culturel.

“ -Par extension ou en plaisantant, ce qui parait au dessus des forces de la Nâture : ...sans sorcellerie. ”, c'est la première fois que l'on a “ en plaisantant ”, jusqu'alors ce qui était au dessus des forces de la nature comme le fait de flotter durant l'épreuve de l'eau par exemple, était considéré comme de la sorcellerie diabolique contre laquelle il fallait lutter ; désormais on “ plaisante ” sur ce qui “ paraît ” au dessus des lois de la nature ... on voit que ça n'est pas vraiment au dessus des forces de la nature mais cela “ paraît ”, c'est un trait culturel qui marque le changement de mentalité car en 1787, la chasse aux sorcières est en voie de disparition.

Dans le dictionnaire de Hatzfeld, là aussi il y a des indications phonétiques comme dans le dictionnaire ci-dessus ainsi qu'un trait étymologique : “ [Etym. du latin pop* sortiarium, m. s, dérivé de sors, tis, sort...] ”.

Cette fois, la définition commence différemment de celles vues dans les autres dictionnaires : “ Celui, celle, à qui on attribue un pouvoir surnaturel qu'il tient d'un pacte avec les esprits infernaux. On les tient pour sorciers dont l'enfer est le maître ”. C'est une citation dans laquelle on voit bien que le sorcier ou la sorcière sont des individus à qui “ On attribue ”, “ on les tient ” alors qu'auparavant c'était l'opinion commune qui les accusait d'être des suppôts de Satan (dans le Trévoux de 1721) et dans d'autres dictionnaires comme dans le Furetière de 1690 ou le Richelet de 1730, on affirmait : “ celui qui va au Sabat... ” c'était un fait défini et considéré comme vrai alors que désormais on insiste sur le fait que le sorcier et la sorcière ont été accusés ” comme tel par “ on ”, l'actant est indéfini pour montrer que c'est tout le monde aussi bien le Peuple que le Parlement qui ont accusé ces hommes et femmes... C'est un trait culturel qui montre là aussi le changement de mentalité car on se rend compte que les sorcières sont des inventions du Parlement puis du peuple. Dans la suite de la définition, on a d'autres citations, une de Lafontaine et une de Molière dans lesquelles on a une référence à l'expression lexicalisée “ être grand sorcier ”.

Le Grand Dictionnaire du 19è Siècle de Pierre Larousse de 1866 ressemble plutôt à une encyclopédie. L'article “ sorcellerie ” est très intéressant au point de vue historique : il donne des informations concernant la magie et la sorcellerie dès l'antiquité : “ Il y a eu, dans tous les temps, des sorciers et surtout des sorcières. Il en existait chez les Egyptiens et chez les Juifs... ” ; “ A Rome, on croyait également aux sorciers et aux magiciens... Horace, notamment a décrit ce tableau sinistre, qui a peut-être inspiré une célèbre scène de Macbeth... ”.

La suite de l'article est en fait l'historique du mot “ Sorcellerie ” englobant les “ sorciers et sorcières ” ; il donne des indications sur la manière de considérer la sorcellerie à différentes époques,il nous renseigne également sur les conditions de détention et sur les procès des prétendus sorciers... : “ Montrelet raconte qu'en 1449, les prisons d'Arras étaient encombrées de personnes accusées d'assister au Sabbat et appartenant aux conditions les plus diverses. elles furent toutes soumises à la torture ; mais les riches parvinrent à échapper au bûcher, sur lequel montèrent les hommes du peuple... ”

L'article contient ainsi un grand nombre d'exemples de procédures.

La fin de l'article donne des références bibliographiques concernant des livres sur la sorcellerie, les procès etc.

L'article “ SORCIER, ERE ”, donne d'abord l'étymologie : “ (du latin sortiarius venu lui même du latin sors, sortis, sort. Le sorcier est donc proprement le diseur de sorts, de bonne aventure) ” ; ainsi au point de vue étymologique, le sorcier est un diseur de bonne aventure.

“ Celui, celle, qui suivant l'opinion des temps d'ignorance, a fait un pacte avec le diable ... Sabbats ”, on a la même phrase imaginaire, le même trait superstitieux mais cette fois-ci, on sait que cela existait “ aux temps d'ignorance ”, on se rend ainsi compte que tout ce qui était dit à propos des sorciers n'était dû qu'à l'ignorance et à la superstition. C'est un trait historique et culturel qui marque la fin de l'ignorance et surtout des superstitions ; en 1866, on connaît les lois de la nature et on ne rejette plus les malheurs du monde sur l'existence du diable ni de ses prétendus suppôts...

On a ensuite plusieurs citations qui sont des traits historiques : “ Louis XI empêcha que le Parlement et l'Université de Paris ne poursuivissent comme sorciers les premiers imprimeurs qui vinrent d'Allemagne en France (Volt) ” ; également d'autres citations comme celles de Madame de Staël, Michelet... ou Madame de Ségur : “ Jadis, on envoyait au supplice des SORCIERS qui, s'ils l'avaient été, ne se seraient certainement pas laissé griller ”. On voit dans ces citations des faits historiques et surtout la crédulité et l'ignorance de ceux qui croyaient aux sorciers, la citation de Mme de Ségur est en effet judicieuse mais à l'époque de la répression, ceux qui croyaient à la sorcellerie ne pensaient même pas que, s'ils existaient, les vrais sorciers auraient pu s'échapper par quelques tours... Les citations suivantes s'appliquent aux différentes utilisations de “ sorcier ” : figurément, adjectivement et proverbialement ; on a également des traits spécifiques, spécialisés car le dictionnaire donne les différentes choses appelées “ sorcier ” en botanique, etc.

On a ensuite le synonyme de sorcier : “ Magicien ” puis un renvoi à l'article “ Sorcellerie ” de l'Encyclopédie.

Enfin, le dictionnaire cite des oeuvres littéraires et théâtrales, la première référence s'intitule “ La Sorcière ”, c'est une étude historique et philosophique publiée par Michelet en 1862 ; le second exemple est une tragi-comédie anglaise de Middleton ; la troisième référence concerne une comédie en deux actes intitulée “ Le Sorcier ” et présentée sur le Théatre-Italien le 2 janvier 1764 ; le quatrième et dernier exemple étant un opéra comique en un acte présenté au Théâtre Lyrique le 15 juin 1800.

Ce dictionnaire ressemble donc plutôt à une encyclopédie au sens où il donne beaucoup de références historiques, culturelles, littéraires et théâtrales...

Il faut noter que ce dictionnaire reflète désormais la culture, l'intelligence et non plus la superstition et la crédulité de la société.

Dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1878, on a la même expression que dans le dictionnaire de Pierre Larousse : “ des temps d'ignorance ”. Le regard que l'on porte désormais sur le mot “ sorcier, ière ” n'est plus le même qu'au XVè S., on sait maintenant que tout ceci n'était que de la superstition.

Les exemples sont cependant restés les mêmes : “ on accuse ... sorciers ”. On remarque qu'avant c'était le Parlement de Roüen qui brûlait les sorciers mais maintenant, l'actant est indéterminé puisque c'est : “ on ”. L'Académie ne cite personne mais englobe tout le monde par ce procédé, aussi bien le peuple que le Parlement de Paris.

L'Académie donne ensuite l'utilisation de “ sorcier ” figurément et populairement mais non plus “ bâssement ” comme dans le dictionnaire de Féraudl de 1787 ; en effet, on ne distingue plus en 1887 le peuple et la lie du peuple... On essaie de ne pas faire de découpages sociaux trop appuyés. C'est un trait culturel et social.

Enfin, on a l'utilisation proverbiale, l'expression lexicalisée “ être grand sorcier ” pour dire “ être fort habile ”, là aussi ce trait est culturel.

Le dictionnaire de l'Académie Française de 1884 présente la même définition que celui de 1878.

Dans le dictionnaire de l'Académie Française de 1935, la définition a évolué : “ celui, celle à qui on attribue un pouvoir surnaturel qui serait dû à un pacte avec le diable ”. Cette définition est proche de celle donnée par Hatzfeld dans le dictionnaire générale de la langue française. La différence est qu'ici, on a “ diable ” au lieu de “ esprits infernaux ”. Ce trait est culturel.

“ On attribue ”, l'actant est indéterminé pour montrer que tout le monde a participé à cette “ attribution ” d'un pouvoir surnaturel à des prétendus sorciers, là encore ce trait et culturel et historique.

Comme dans les éditions précédentes, l'Académie Française donne l'utilisation figurée et populaire : “ c'est un vieux sorcier... méchante femme ”.

Il existe cependant un changement avec les définitions de 1878 et de 1884 car désormais, l'expression lexicalisée “ être grand sorcier ” n'est plus proverbiale mais utilisée familièrement et “ cela n'est pas sorcier pour signifier qu'une chose n'est pas difficile à deviner, à faire. ” est utilisée très familièrement ; on a donc ici un trait culturel et social.


Retour