Sorciers, sorcières pourquoi nous ont-ils fait si peur ?

Au Moyen Age, la sorcellerie est assimilée à la magie. Mais bien vite, l'Eglise transforme les hérétiques en adeptes de Satan et les envoie, par milliers, au bûcher.

Par Thierry Kübler

En vendant leurs remèdes de bonne femme, elles ne tentaient que d'améliorer l'ordinaire de la mort qui toujours se rapproche. Pauvres bougresses, décrites souvent solitaires, à l'écart du village. Mâchonnant d'interminables sentences, ruminant le jus d'une vie amère. Guérisseuses, jeteuses de sorts, rebouteuses : on les consulte en catimini ; elles sont raillées autant que craintes. Leur masure ? Un clandé de l'âme où calmer l'angoisse face à l'inexplicable.

Ces humbles sorcières, aïeules des cartomanciennes, n'auraient pas tant défrayé (et effrayé) la chronique si, dès la fin du Moyen Age, elles n'avaient été les mauvaises femmes au mauvais moment : diabolisées par une Eglise à la recherche de boucs émissaires pour conforter son unité face aux hérésies, les guérisseuses d'antan vont connaître l'enfer sur terre. Et c'est être deux fois bouc émissaire que de l'être au féminin. Bien sûr, elles s'accouplent au Malin, entre autres monstres. Evidemment, elles attentent à la virilité des hommes et à la fécondité des femmes. Bien pis, elles transgressent tous les interdits : les sorcières renient Dieu et mangent de la chair humaine (avec une préférence gourmande pour celle des petits enfants). Au saint sang du Christ rachetant tous les péchés, ces abjectes femelles opposent celui de noires menstrues entrant - c'est notoire - dans la composition des philtres qui leur donnent grande puissance...

L'attribution aux sorcières d'un ensemble de pouvoirs maléfiques croise sans cesse une formidable misogynie : mante religieuse et hérétique, castratrice, cannibale... Bûchers et tabous : en brûlant harpies et autres goules, l'Inquisition exorcise aussi sa haine de la Femme, coupable du péché originel. Les médecins de Louis XIV mettront le holà aux frénésies des inquisiteurs en rationalisant les nombreux ' symptômes ' d'ensorcellement - tout comme à la Salpétrière, au début du XXe siècle, les travaux de Charcot (l'un des maîtres de Freud) feront passer les hystériques du rang de possédées à celui de malades mentales.

Avec les siècles, le personnage de la sorcière ne subsiste que dans des zones fortement rurales, mais sombre dans la désuétude auprès de la bonne société qui préfère s'enticher de mages, de Joseph Balsamo à Raspoutine. En France, il faut attendre le 17 juillet 1966 pour un retour en force des sorcières : une nouvelle série diffusée par l'ORTF, ' Bewitched ' (Ma sorcière bien-aimée) , enchantera les téléspectateurs lors de 254 épisodes de 26 minutes. Jean-Pierre, le héros du feuilleton, sursaute immanquablement face aux pouvoirs de Samantha, mais sa sorcière de femme n'use de ses dons que pour tirer d'invraisemblables situations ce gros benêt d'Américain typique, et un chaste baiser clôt inévitablement chaque épisode.

Dernier avatar du genre, Harry Potter . L'apprenti sorcier de l'écrivain anglaise J. K. Rowling, achève d'ancrer la sorcellerie dans l'enfance et le merveilleux. Menée à la baguette magique, la saga des Harry Potter - dont une première aventure est portée au cinéma le 5 décembre - dépeint avec un remarquable talent la vie d'une école de sorciers. Métamorphoses, maléfices, envoûtements... même dotés de pouvoirs surnaturels, les personnages doivent se coltiner avec des maux tristement réels : le goût du pouvoir, le racisme, la mort. Tout n'est pas encore rose au pays de la magie noire.


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