Sommaire

La raison a raison des démons

Loudun-Louviers : même combat contre le Mal

La Voisin, quel poison !

Un scandale étouffé

La raison a raison des démons

A la fin du XVIIe siècle, à l'occasion du procès de la Brinvilliers, condamnée pour pratiques sataniques, certains se demandent ouvertement si le cas des sorciers ne relève pas davantage de l'asile que du bûcher. Une idée qui fera son chemin dans les siècles suivants...

Par Claude Pasteur*

La première moitié du XVIIe siècle fut fertile en procès sataniques. La seconde est, elle, marquée par une évolution des esprits. Le rationalisme, précurseur du siècle des Lumières, commence à apporter un soupçon de raison dans une France en mutation. Premier signe fort : en 1672, Louis XIV fait casser une sentence du Parlement qui condamne au bûcher douze sorciers normands, lesquels sont seulement expulsés du département. Interdiction est également faite aux tribunaux de recevoir les simples accusations de sorcellerie. C'est la première fois que l'autorité royale se manifeste contre la peine de mort prononcée à l'encontre des sorciers, à condition toutefois que ces crimes d'empoisonnement ne leur soient pas imputés.

C'est pourtant ce qui se passe quatre ans plus tard, en 1676, quand, en place de Grève, on brûle une femme, reconnue coupable d'empoisonnement. Il s'agit rien moins que de la marquise de Brinvilliers.

Etrange destin, que celui de cette Marie Madeleine, née Dreux d'Aubray. Elle est la fille d'un conseiller d'Etat, maître des requêtes, qui la marie à un débauché, le jeune Antoine Gobelin, marquis de Brinvilliers. Elle se console de cette union malheureuse en prenant pour amant, un bel aventurier, ancien officier, Jean-Baptiste Godin, dit Sainte-Croix. Apprenant cette liaison, monsieur Dreux d'Aubray, magistrat rigide, s'indigne et envoie l'amant à la Bastille. C'est là que son compagnon de cellule, l'alchimiste Exili, révèle à Sainte-Croix certains secrets occultes. Libéré quelques années plus tard, l'aventurier continue seul ses manipulations dans une modeste officine proche de la place Maubert. On l'y découvre, un matin de 1672, gisant devant ses fourneaux et ses alambics, mort pour avoir respiré des vapeurs toxiques.

La police est alertée. Le commissaire Picard, chargé de l'enquête, découvre une mystérieuse cassette rouge contenant des fioles et des petits sachets remplis de poudre qui, après expertises, se révèlent être du sublimé corrosif, du vitriol romain et dans une petite boîte, une pierre ' infernale '... La cassette contient également des lettres d'amour et une étrange déclaration : ' Je supplie très humblement ceux ou celles entre les mains de qui tombera cette cassette, de me faire la grâce de vouloir la remettre en main propre à Madame la Marquise de Brinvilliers, demeurant rue Neuve-Saint-Paul, attendu que tout ce qu'elle contient la regarde [...]. Et au cas où elle fut morte avant moi, de la brûler et tout ce qu'il y a dedans, sans rien ouvrir. Fait à Paris, le 25 mai 1670, signé Sainte-Croix. '

On se souvient alors des morts étranges survenues dans la famille d'Aubray : celles du père de la marquise (en 1666) et de ses deux frères (1669 et 1670). On se pose des questions... Quand une assignation à comparaître est lancée contre la Brinvilliers, elle y répond à sa manière. Elle s'enfuit à l'étranger ! Elle demeure quatre ans en exil, pour échapper à la justice de son pays. D'abord Londres, puis Liège, où elle est arrêtée et ramenée à Paris.

Son procès est retentissant. Après avoir longtemps nié, elle finit par avouer. Oui, elle a empoisonné son père - n'avait-il pas fait embastiller Sainte-Croix - et ses deux frères. Oui, elle a essayé différents poisons sur les malades qu'elle allait charitablement visiter dans les hôpitaux. Oui, elle s'apprêtait à expédier dans l'autre monde sa soeur et sa belle-soeur, avant la découverte de la fameuse cassette. Son but : récupérer à son seul profit l'héritage familial.

Pour le peuple, elle ne peut être qu'une sorcière. Les drogues maléfiques ne relèvent-elles pas de sortilèges. Reste que, pendant le procès, les juges s'intéressent moins à ses fréquentations diaboliques... qu'à ses relations mondaines, grands seigneurs ou grandes dames plus ou moins soupçonnés d'être mêlés à des affaires d'empoisonnement.

Si elle passe des aveux écrits concernant ses propres méfaits, elle ne dit rien en revanche sur ses possibles ' clients ', même sous la torture. Le Parlement de Paris prononce son verdict : la Brinvilliers sera décapitée, puis jetée dans le feu. Aussi, le 17 juillet 1676, Mme de Sévigné peut-elle écrire : ' Enfin, c'est fini. La Brinvilliers est en l'air, son pauvre petit corps à été, après l'exécution, jeté dans un fort grand feu, et les cendres au vent... 'Précisant que l'empoisonneuse témoigna, lors de ses derniers instants, d'un tel courage, que le bruit courut qu'elle était morte en odeur de sainteté...

Pour les esprits clairvoyants de l'époque, la Brinvilliers n'est pas une de ces sorcières se rendant au sabbat sur un manche à balai, comme certains se les imaginent encore à l'époque. Selon eux, son cas relève davantage de la maladie que de la sorcellerie, de l'hôpital que du bûcher. Des témoins signalent les contractions nerveuses qui défiguraient son visage quand elle était contrariée. On raconte aussi qu'à la vue de l'échafaud, sa figure se convulsa, et sa bouche se tordit ' comme le rictus du tigre '. La confession, écrite de sa main, révèle aussi le profond déséquilibre qui était le sien. Pyromane : ' Je m'accuse d'avoir mis le feu. ' Suicidaire : ' Je m'accuse de m'être donné du poison. ' Obsédée sexuelle : ' Je m'accuse d'avoir commis des incestes trois fois par jour. [...] Je m'accuse d'avoir approché une toute jeune fille. [...] Je m'accuse d'avoir commis deux fois le péché de sodomie ' [avec Sainte-Croix]. Telle est cette dépravée qui, un siècle plus tard, aurait été conduite dans un asile psychiatrique. Les temps n'étaient pas encore mûrs.

Au siècle suivant se précise l'idée que sorciers, mages, envoûteurs sont des malades mentaux. L'oratorien Malebranche l'écrit : ' Que l'on cesse de punir les sorciers, qu'on les traite comme des fous, et l'on verra qu'avec le temps, ils ne seront plus sorciers. ' En 1731, la peine capitale pour délit de sorcellerie est supprimée. Mais si on n'envoie plus les sorciers au bûcher, on les considère comme des fous, et on les enferme... dans des cages, devant lesquelles le public est autorisé à défiler les jours de fête. ' Les fous attachés dans leurs cages servaient, comme des animaux de ménagerie, à l'amusement du public. ' Celui qui écrit ces lignes n'est autre que le médecin aliéniste Pinel.

Plus on avance dans le XVIIIe siècle, plus l'idée que les cas de sorcellerie relèvent de la médecine fait son chemin. En 1751, la Grande Encyclopédie de Diderot et d'Alembert considère la sorcellerie ' comme une opération honteuse et ridicule, attribuée stupidement par la superstition au pouvoir du démon '. Ce qui n'empêche pas quantité de cabalistes mondains, tels le comte de Saint-Germain, Cagliostro, Mesmer, d'autres encore, avec leur arsenal de recettes magiques, de sévir. Au XIXe siècle, Victor Hugo ne fait-il pas encore tourner les tables... Mais la raison et le rationalisme continuent de gagner du terrain. En 1834, Michelet, dans son ouvrage La Sorcière, tente d'expliquer les états hallucinatoires des femmes qui se croient habitées par Satan. A la même époque, le professeur Charcot donne à la Salpêtrière ses célèbres cours sur les maladies du système nerveux et évoque en les démystifiant les vieux procès de sorcellerie. Ses séances d'hypnose sur des pensionnaires de l'hôpital parisien sont suivies par un public passionné. Même si quelques-uns de ses détracteurs avancent qu'il est parfois dupé par certaines femmes qui lui jouent la comédie ' pour obtenir double ration '. A ses moments de loisir, il collectionne des images de sorciers et publie un ouvrage, Les Démoniaques dans l'art .

De nos jours encore, les efforts du rationalisme pour éradiquer les vieilles croyances sont loin d'avoir triomphé : il existe toujours des envoûteurs, des profanateurs et des possédés, au point que dans certains diocèses, on a dû accroître le nombre des prêtres exorcistes. La nouveauté réside dans le fait que ces prêtres collaborent souvent avec des médecins psychiatres pour déceler des troubles mentaux relevant davantage de la Faculté que de la magie.

Mais empêchera-t-on jamais le diable de faire des siennes ?

* Claude Pasteur est journaliste et historienne. Elle a publié une trentaine d'ouvrages. Elle s'est intéressée à la sorcellerie dans son livre Simon le Magicien (Orban) ainsi que pour une enquête, parue dans Elle , "Les quatre vérités des magiciens", avec l'avis de médecins, psychologues et psychiatres.

Loudun-Louviers : même combat contre le Mal

Dans la première moitié du xviie siècle, ces deux affaires d'envoûtement défraient la chronique.

Urbain Grandier, curé de Loudun, est un prêtre tourmenté, aux moeurs suspectes. Ne trouvant pas à s'accomplir au service de Dieu, il se tourne vers Satan, et conclut avec lui un pacte, conservé au fonds français de la Bibliothèque nationale. En voici des extraits, en langue moderne : ' Mon Seigneur et maître, je vous reconnais pour mon Dieu, je vous promets de vous servir, [...] et dès à présent, je renonce à tous les autres, à Jésus-Christ et à Marie, et à tous les saints du ciel, et à l'Eglise catholique, apostolique et romaine. Je promets de vous adorer et [d']attirer à mal faire autant de personnes qu'il me sera possible. [...] Signé de mon sang : Urbain Grandier. 'Le pacte est écrit sur un morceau de parchemin et signé effectivement du sang de l'apostat. Pour tenir sa promesse, le curé ensorcelle les religieuses du couvent des Ursulines, qui manifestent bientôt des troubles délirants : des démons surgissent et les poursuivent ; certaines, illettrées, se voient octroyer le don des langues et discourent en latin ; d'autres sont prises de convulsions, ou tiennent des propos indécents. En 1634, le curé est arrêté. Il est convaincu du ' crime de magie, maléfice et possession, arrivé par son fait à des religieuses ursulines et autres séculières, et condamné à faire amende honorable tête nue et son corps brûlé vif '.

Après l'exécution de Grandier, les phénomènes diaboliques continuent néanmoins, nécessitant les secours de plusieurs autres exorcistes : le père Jean-Baptiste Gault, le père Lactance et, enfin, le père Surin. Ce n'est qu'après s'être rendues sur le tombeau de saint François de Sales, en compagnie de la prieure du couvent - elle-même ' envoûtée ' - que les ursulines de Loudun retrouveront leur sérénité. (Les témoignages des prêtres exorcistes sont eux aussi conservés à la BNF). Quelques années après le drame de Loudun, une affaire analogue éclate à Louviers, près de Rouen, au couvent de Sainte-Elisabeth : quinze religieuses se disent possédées par des démons, les mêmes qui ont tourmenté les ursulines de Loudun. On raconte que les religieuses, toutes très jeunes, se renversent jusqu'à poser leurs têtes derrière leurs talons pour baiser la terre. D'autres exécutent pendant la messe des sauts acrobatiques, ou bien jurent et blasphèment. Jusqu'au jour où la soeur Madeleine Bavent dénonce l'ancien directeur du couvent, Mathurin Picard, et son complice Thomas Boullé.

On arrête les deux hommes qui sont déférés devant le Parlement de Normandie, lequel rend l'arrêt suivant : ' [...] La Cour déclare Mathurin Picard et Thomas Boullé convaincus des crimes de magie et sortilèges, sacrilèges, et autres impiétés, [...] et ordonne pour punition et réparation de ces crimes, que les corps dudit Picard et ledit Boullé [seront] ce jour livrés à l'exécuteur des sentences criminelles [...] en la place du Vieux Marché [de Rouen], et là, le corps dudit Boullé brûlé vif, et le corps dudit Picard mis au feu, jusqu'à ce que lesdits corps soient réduits en cendres, lesquelles seront jetées au vent. ' Le même arrêt déclare Madeleine Bavent déchue de sa qualité de religieuse, et la condamne à la prison perpétuelle. Pas plus qu'à Loudun, les exécutions de Picard et de Boullé ne font cesser les diableries. Les rituels de désenvoûtement ne font, au contraire, qu'exacerber les démons et poussent les religieuses à des actes désespérés : certaines se jettent dans un puits, mais sont miraculeusement (ou démoniaquement) retenues avant de tomber au fond. Mais finalement tout rentre dans l'ordre, et le nom de Louviers n'est plus guère célèbre que dans la chanson Sur la route de Louviers...

La Voisin, quel poison !

Autre adepte des pratiques occultes, Catherine Deshayes, épouse Monvoisin, sage-femme de profession et accessoirement avorteuse. Après la mort de son mari, un certain Lesage, son amant, associé à un prêtre sataniste, l'abbé Mariette, initie la Voisin à la magie noire. Le lieutenant de police La Reynie qui, quelque temps auparavant, a informé Louis XIV ' que son royaume [est] gangrené par tout un monde de sorciers et de magiciennes ', fait arrêter la Voisin. Il se dit à l'époque que dans le jardin de sa maison, rue Beauregard (dans l'actuel quartier Bonne-Nouvelle), elle a fait édifier un four pour y brûler 2 000 foetus et nouveau-nés sacrifiés lors de messes noires ; qu'elle fabrique des aphrodisiaques et, surtout, que nombre de nobles dames viennent lui acheter ces poudres pour se faire aimer... ou ' pour éternuer une dernière fois... 'De fait, les noms cités lors de son procès figurent au gotha du Paris de l'époque : la duchesse de Bouillon, la duchesse de Vivonne, la comtesse de Soissons, la comtesse de Gramont, la vicomtesse de Polignac, la maréchale de La Ferté. Mais surtout, comble du scandale : Mlle Desoeillets, demoiselle de compagnie de la Montespan, l'ancienne favorite du roi remplacée un temps par Mlle de Fontange, morte dans d'étranges circonstances... Aussitôt, le tribunal fait suspendre les séances publiques et la Voisin est envoyée au bûcher en 1680. En 1682, Louis XIV donne l'ordre d'interrompre les séances de la Chambre ardente - qui traitait des affaires de sorcellerie -, fait placer les documents dans un placard secret, avant de les détruire lui-même.

Un scandale étouffé

La Voisin et la Montespan. Malgré le scandale, la favorite ne quitte la cour qu'à 50 ans, pour entrer dans un couvent avant de finir ses jours à Boubon-l'Archambault.


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