Calvin (Noyon 1509 - Genève 1564) | |
Théologien et réformateur protestant français. |
|
Prédicateur talentueux, auteur de la somme théologique de référence du protestantisme[1], Calvin fut le meilleur propagateur de l'élan réformiste, mais aussi son dépassement et ses ambivalences (égarements inquisitoriaux) comme l'illustra son action génévoise. 1- Une jeunesse studieuse : entre humanisme et réforme (1509-1534) La petite ville picarde de Noyon voit la naissance en 1509 de Jean Calvin (Calvinus en latin), fils d'une mère dévote et d'un père autoritaire, notable au service des chanoines. Ce cadre familial pieux prédestine Calvin à une carrière ecclésiastique. Tonsuré dès sa douzième année, il bénéficie d'un financement de l'Église catholique lui permettant de suivre des études théologiques à Paris. Quatre années de fréquentation du célèbre collège de Montaigu (1523-1527), principalement centrées sur les commentaires des traités aristotéliciens, le mettent en contact avec la pensée humaniste. Maître ès arts à 18 ans, il révèle déjà son ardeur au travail, l'endurance de son esprit, les potentialités d'une mémoire fabuleuse. Le voilà à Orléans où il assimile promptement les langues originales (Hébreux, Grec ancien). Contrepoids à la Sorbonne inquisitoriale et conservatrice, Orléans préserve Calvin des rhétoriques desséchantes et abstraites. Les études de droit poursuivies à Bourges élargissent son horizon intellectuel. Outre la confirmation de l'empreinte humaniste, la faculté de Bourges sera surtout le lieu de la première rencontre avec l'approche luthérienne de la foi, initiation capitale menée par le savant Melchior Wolmar. Déjà, le Calvin de vingt-trois ans auteur de commentaires remarqués sur le De Clementia de Sénèque montre le visage d'un fin lettré humaniste préoccupé de connaître Dieu à la lumière de la Parole à la source. Le pieux penseur studieux bascule dans le camp réformiste en 1533 : le jeune noyonnais participe activement à la rédaction du discours académique du recteur de l'université de Paris Nicolas Cop, érasmien notoire, lecteur de Luther et défenseur d'un texte réformiste écrit par Marguerite de Navarre. Plusieurs traits luthériens du discours valent à Calvin d'être immédiatement perçu comme protestant. Les mesures de répression qui suivent l'affaire des Placards (octobre 1534) obligent le protestant Calvin à fuir la France. Son existence de proscrit commence... 2- Le proscrit (1534-1541) Réfugié à Bâle (centre acquis de la Réforme), Calvin s'adonne fougueusement à une étude approfondie des écrits de Luther et élabore sa propre théologie, décidé à exposer une perception complète de la doctrine protestante. Ce labeur intense aboutit à la parution en 1536 d'une véritable somme théologique, l'institution de la religion chrétienne[1]. Si les filiations et dettes à l'égard de Luther sont multiples, il ne s'agit en aucun cas d'une reproduction de l'original, d'une soumission servile aux pensées du "maître saxon". Calvin livre une formulation magistrale de l'approche réformiste agrémentée de répliques personnelles. Une information biblique élargie et une exégèse approfondie sont les bases solides d'une argutie efficace servie par un style d'une clarté pédagogique cristalline. La substance luthérienne d'origine se trouve magnifiée et épurée, baignant dans les eaux mêlées de la culture de Calvin où s'enrichissent mutuellement les pensées de Mélanchton, Martin Bucer et Zwingli. La cure de jouvence du message de la foi appelée par Luther, sa conduite vers une théologie vitale prophétique et biblique trouvent en Calvin le plus efficace propagateur, mais un propagateur sachant manifester sa sensibilité propre, son indépendance. Au delà d'un exposé clair des trois principaux aspects de la doctrine protestante (la nécessité de la connaissance de l'Écriture, la corruption totale de la nature humaine, la prédestination), Calvin appose ce qui restera sa marque de fabrique, son empreinte : la collision du politique et du religieux, une problématique qu'il résout en faisant le voeu d'une Église protestante ayant sa juridiction et sa législation propres, indépendantes du pouvoir politique. Texte primordial du mouvement réformiste initié par Luther, L'institution Chrétienne en est aussi le dépassement, l'expression d'un nouveau courant que l'on nommera très tôt "calvinisme". L'impact de l'oeuvre suscite l'appel de Guillaume Farel, réformiste en bisbille avec l'ordre au sein de la ville de Genève. De 1536 à 1538, Calvin fait l'expérience concrète des frictions du politique et du religieux, tente de soumettre les magistrats aux pasteurs. Il se révèle surtout un redoutable tribun de la Parole protestante, un prédicateur de trente ans qui menace par une aisance de vieux briscard des luttes rhétoriques les prérogatives officielles de la magistrature en place. Expulsé, Calvin se réfugie de nouveau à Bâle, se convainc de la nécessité de mettre le dépositaire de la Foi dans la cité afin que la Cité soit toute entière dans la Foi. Cette orientation, Calvin a la possibilité de l'expérimenter chez Bucer à Strasbourg où il va diriger la communauté des Français réformés persécutés. Sa pensée mûrit définitivement à travers plusieurs polémiques auxquelles il prend part. Il riposte en ecclésiastique avisé au cardinal Sadolet qui cherche à faire revenir dans le giron de l'Église soumise au pape les Genevois rebelles. Les impacts de la joute offrent au proscrit sa revanche : en septembre 1541, Genève rappelle Calvin. Huit années d'errances forcées s'achèvent... 3- Le "pape" de Genève (1541-1564) Dès son arrivée, il fait adopter des "ordonnances ecclésiastiques" qui règlent le statut de la ville, donnent à l'approche calviniste une consistance : Genève sera une Église-Cité et Calvin sera son pasteur-roi. En effet, la vie des Genevois est désormais régie par un quadripartisme constitué du ministère des pasteurs, des docteurs, des anciens et des diacres. Le consistoire réunissant des pasteurs et des anciens sera un véritable tribunal chargé de régler toutes les questions de foi, de moeurs, de disciplines sociales. Les pasteurs ne dépendent plus des magistrats dont la coopération docile est obtenue par Calvin. La morale et l'ordre règnent. Jean Calvin en est le monarque incontesté pendant vingt-trois années. Vingt-trois années d'une théologie personnelle triomphante, imprégnant les existences genevoises, entérinant la réalité d'un Calvin sûr de ses principes, défenseur de son ordre jusqu'à chuter parfois dans les extrémités de l'intolérance. L'ancien persécuté se fait à l'occasion persécuteur. Trois dates illustrent les dérives d'un pouvoir de plus en plus intransigeant. En 1543, Sébastien Castellion ose critiquer l'interprétation faite par "seigneur" Calvin de la descente du Christ aux enfers, mettant en doute la canonicité : l'énergumène sera interdit d'ordination pastorale puis expulsé, considéré comme un danger pour l'autorité de l'Écriture. En 1551, le même sort atteindra Jérôme Bolsec, ancien moine carme qui avait exprimé son désaccord sur la doctrine de la "double prédestination", notion si chère et si intimement liée à la pensée de Calvin. Mais c'est indéniablement l'affaire Michel Servet qui rend le mieux compte des excès inquisitoriaux de "Calvin-Imperator". Ce médecin et philosophe s'était enfuit de Paris et croyait trouver au sein du royaume genevois sécurité et tolérance pour l'épanouissement de sa réflexion humaniste. L'émulation intellectuelle espérée devait être toute autre. Le 27 octobre 1553, l'infortuné Servet, déclaré hérétique, était brûlé en place publique pour avoir nié le péché originel et affirmé que le Père, le Fils et le Saint-Esprit n'étaient que les trois unités d'action du Dieu un. Pourtant, le pouvoir exercé par Calvin à Genève ne saurait être confondu avec la poursuite créative, efficace, fondamentale de son rôle de propagateur au sein du mouvement réformiste. Là, Calvin conserve ses réflexes de fin rhétoricien, capable par sa Thèse pneumatique du Christ au cours de la Cène (1549) de provoquer un accord entre luthériens et zwingliens à un moment où les dissensions affaiblissaient la diffusion du message évangélique. Et que dire de l'incessant travail de consolidation et de construction poursuivi par Calvin à travers de multiples contacts épistolaires (avec notamment le roi de Pologne, le comte de Somerset -tuteur du futur roi d'Angleterre-...), des lettres pastorales de soutien aux réformés français, l'ouverture de 1559 de l'Académie genevoise qui marque l'affermissement décisif de l'internationalisation du mouvement. Au sein de cette serre du savoir protestant germeront de nombreuses graines talentueuses qui ensemenceront ensuite le vaste champ de l'Europe : John Knox (en Écosse), Philippe de Marnix (en Hollande), Caspar Olevianus (en Allemagne). L'Académie scellera définitivement le destin de Genève, capitale pas seulement symbolique de la Réforme, Église-Mère couvant sa progéniture par le relais des éditeurs et imprimeurs prestigieux (Henri et Robert Estienne, Jean Crespin, Conrad Badius,...). Cette tâche énorme, associant des responsabilités civiles et religieuses, débordant le cadre de la ville-église, finira par avoir raison de Calvin. Il meurt d'épuisement le 27 mai 1564. Selon sa volonté, il est enterré en un lieu inconnu pour ne pas susciter une glorification terrestre qu'il aura pourtant "subit" de son vivant. [1]L'institution de la religion chrétienne paraît d'abord en latin et est dédicacée à François Ier, roi de France que Calvin espérait gagner à la cause évangélique malgré sa position répressive adoptée depuis l'affaire des placards. Le succès extraordinaire du livre, les polémiques suscitées et les évolutions même de Calvin, contribueront aux rééditions successives, toujours plus denses, intégrant l'acquis de nombreuses controverses. En 1541, une nouvelle édition sera publiée en Français. Aidé de collaborateurs, il parvint à achever en 1560 une synthèse de cet ouvrage dogmatique qui était toute sa vie.[retour] Texte de PF URL d'origine : http://www.publius-historicus.com/calvin.htm |